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met ses conditions, et après avoir constaté que cette cédule ne ; rétracte rien, elle prend la plume que lui tend Massieu ; mais toujours prudente et avisée, elle refuse encore sa signature et ne met qu’une croix, signe de dénégation, pour le cas où toute la portée de cet écrit aurait pu lui échapper. Alors, la conscience tranquille, satisfaite de se débarrasser par cette ruse de toutes les sollicitations et d’échapper peut-être au bûcher, un sourire lui monte aux lèvres. C’est ce que constate dans sa déposition Manchon, qui en parlant de cet instant dit : Ce que je sais c’est qu’elle souriait. Le sourire, « subridebat, » qui avait frappé Manchon, s’accentue et devient une moquerie quand par dérision Jehanne fait un rond sur le papier que lui apporte Laurent Calot. À ce moment, l’impression unanime est que Jehanne n’a agi que par dérision « modum derisionis. » Ce sentiment se manifestait même sur l’estrade des juges, ou un docteur l’exprimait à Cauchon en termes si violens que le cardinal de Winchester dut lui imposer silence.

Pour bien saisir la situation, c’est au témoignage de l’évêque de Noyon, Jean de Mailly, qu’il faut nous reporter. Ce haut personnage, dans sa brève déposition, résume la question d’une manière très nette en nous disant que la plupart des assistans attachaient peu d’importance à cette espèce d’abjuration, que ce n’était qu’une moquerie. « Jehanne elle-même, dit-il, à ce qu’il me parut, n’en faisait pas grand cas et n’en tenait pas compte. » Quod non erat nisi truffa. C’est le mot (truffa, farce) qu’on entend sur l’estrade pour caractériser l’incident. Ce sentiment, est alors si général qu’un docteur anglais croit à la trahison de Cauchon et l’injurie. Il venait d’entendre Jehanne, par trois fois mise en demeure de s’en rapporter à ses juges de ses dits et faits, répondre par trois fois : « C’est à Dieu que je m’en rapporte et à notre Saint-Père le Pape. » Comment aurait-il pu admettre que, subitement, sur une simple parole d’Erard que personne n’avait entendue, Jehanne se serait soumise ? Cauchon l’assure pourtant ; il poursuit son œuvre de perfidie. Le tumulte organisé pour éclater à cet instant, les pierres jetées, etc., n’avaient qu’un but : détourner l’attention, et empocher les assistans de bien entendre, empêcher Jehanne elle-même de se rendre compte des paroles qu’on lui attribuait. Au milieu de ce tumulte, on a pu prétendre que Jehanne avait déclaré ne pas savoir signer.

En réalité, Cauchon n’avait entre les mains qu’une croix,