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leur présence avec maître Guillaume Desjardins, maître en médecine, et d’autres médecins. Le comte de Warwick nous dit que Jehanne était tombée malade, ainsi qu’on le lui avait rapporté, et qu’il nous avait mandés pour que nous en délibérions, car pour rien au monde le Roi ne voulait qu’elle mourût de mort naturelle ; elle était d’un grand prix pour le Roi, car il l’avait achetée cher ; il voulait qu’elle ne mourût que par voie de justice et dans les flammes ; de faire si bien, de la visiter avec tant de soin, qu’elle recouvrât la santé. Nous allâmes vers la malade, moi Guillaume Desjardins et d’autres… etc.

« J’étais au sermon fait par maître Guillaume Erard, bien que je n’aie pas souvenir de ce qui fut dit. Ce que je me rappelle bien, c’est que Jehanne fit une abjuration, encore qu’elle ait mis beaucoup de temps à s’y décider. Elle fut déterminée à la faire par Guillaume Erard, qui lui promettait que, si elle faisait ce qui lui était conseillé, elle serait délivrée de prison. Elle la fit à cette condition et non autrement, lisant[1]ensuite une petite formule de six ou sept lignes, sur le revers d’une feuille de papier doublé. J’étais si rapproché, moi qui dépose, que vraisemblablement j’aurais pu voir les lignes, et la manière dont elles étaient tracées. »

Au lieu des dépositions si sèches de la plupart des témoins, on sent dans celle-ci l’intérêt très vif avec lequel La Chambre a suivi le procès. Les moindres détails l’ont frappé. Il nous dit que la formule lue par Jehanne était sur une feuille de papier doublé. Pour qu’on ne puisse douter de ce qu’il avance, il prend soin de préciser : « J’étais si rapproché, moi qui dépose… etc. » Sa déclaration se trouve contrôlée, confirmée par tout ce que nous avons établi précédemment, et ce témoignage lui-même apporte une preuve nouvelle que Jehanne savait lire.

La Chambre est un homme respectable, indépendant puisqu’il n’est pas compromis dans le procès. Par habitude professionnelle, ayant une chaire de médecine à l’Université de Paris, il relate, analyse tout ce qui peut aider à établir un diagnostic. D’après lui, Jehanne est très calme : elle lit la cédule non pas à haute voix, mais pour elle-même, ne voulant pas s’en rapporter à la lecture qu’Erard et Massieu lui en ont déjà faite. Elle

  1. Le texte latin porte : « Et sub hac conditione et non alias hoc fecit, legendo post aliam (alium ? ) quandam parvam schedulam. » Ce texte est formel. C’est bien Jehanne qui lit elle-même.