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de Nordwick, garde du sceau privé du roi d’Angleterre ; Cauchon, évêque de Beauvais ; les abbés de Fécamp, de Saint-Ouen, de Jumièges, du Bec, de Corneilles, de Mortemer, de Préaux et Robert Jolivet, abbé du Mont Saint-Michel qui avait voulu livrer sa forteresse aux Anglais. Puis venaient les prieurs de Longueville et de Saint-Lô, 28 maîtres et docteurs en théologie ; enfin les secrétaires et clercs de tous ces personnages.

Pourquoi cette séance en plein air, avec tout un appareil qu’on ne vit jamais dans aucun procès criminel ou religieux ? On appelait en quelque sorte le peuple entier à venir assister à la déchéance de Jehanne. Il ne s’agissait pas de l’exécution, l’heure n’était pas encore venue. L’arrivée du bourreau avec son char n’était que l’apparition sensationnelle, la mise en scène qui devait, pour les contemporains et devant l’histoire, expliquer comment Jehanne avait pu subitement se contredire et ne plus être elle-même. Si, armé de critique historique, on étudie cette heure sombre du cimetière Saint-Ouen, la vérité ne tarde pas à apparaître. En cherchant l’explication de tous les actes de Cauchon, on découvre la trame bien ourdie qui devait donner une apparence de réalité à une abjuration supposée. Plus Cauchon sentait l’odieux du crime qu’il allait commettre, plus il mit d’artifice à le réaliser. Le peuple accouru, les hauts personnages convoqués n’étaient là que pour couvrir de leur présence et de l’autorité de leurs noms la fourberie qui se préparait.

Toute cette scène du cimetière Saint-Ouen n’avait d’autre but que d’obtenir de Jehanne sa signature. Les cédules avaient été préparées d’avance, les rôles assignés à chacun. Guillaume Erard et Laurent Calot étaient les deux complices que Cauchon avait désignés pour arriver à ce dénouement. À mesure que le drame se déroule, un seul mot retentit autour de Jehanne : « Signez, signez. » Il lui est dit par ses ennemis qui veulent la déshonorer, et, dans la foule accourue, il lui est répété par des amis qui croient la sauver du bûcher. Indifférente à tous ces appels, et n’entendant que ses voix, Jehanne n’a pas signé. Alors les deux principaux affidés de Cauchon, chargés de lui arracher par force ou par ruse sa signature, se trouvent dans la nécessité, pour expliquer leur déconvenue, de chercher à faire croire qu’elle aurait dit ne pas savoir signer. L’histoire se trouvait alors écrite comme le voulait Cauchon. Mais, grâce à la lumière