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bien à plat, quittera terre pour commencer le pas suivant. Tous les autres chevaux sont semblablement figurés, à l’appui diagonal, soit droit, soit gauche, mais chez aucun, les deux jambes soulevées de terre ne le sont à une hauteur égale, — ce qui serait le trot. Ils marchent donc bien au pas. En 1864, lorsqu’ils parurent au Salon, il n’y eut qu’un cri : « Ils tombent ! » Nous dirons, nous : « Ils avancent, et, pour avancer, ils portent légèrement leur poids en avant. » Mais, à cette époque l’œil était si bien fait aux caracolages sur place exécutés par les chevaux des Lebrun ou des Gros, qu’un animal qui se mouvait véritablement en avant, paraissait fantasque et téméraire. C’est seulement huit ans plus tard que M. Muybridge, faisant à Palo Alto, près de Sacramento (Californie), les premières observations chronophotographiques des mouvemens du cheval, aperçut, dans ses clichés, exactement les phases du pas donné par Meissonier aux chevaux de son 1814. Il ne s’agit pas, ici, de vagues analogies comme celles qu’on invoque lorsqu’on veut nous faire croire que les Grecs ou les Assyriens ont mieux discerné que nous les attitudes animales : il s’agit d’identité absolue[1]. 1864 est donc une date dans l’histoire de l’art, comme 1814 dans celle de Napoléon : elle marque la conquête du cheval par les peintres.

Ce tableau ne fut pas unanimement admiré. Thoré-Burger écrivait : « Toutes les difficultés de la peinture étaient réunies dans un pareil sujet, et il n’est pas surprenant que M. Meissonier ne les ait point vaincues. Les têtes, surtout celle du personnage principal, tournent un peu au style que représente Daumier. Les chevaux ne se tiennent pas sur leurs jambes, et le cheval blanc de l’Empereur semble peint avec du lait doux. Ce groupe de cavaliers, qui sont censés à la file, s’emmêle en un seul monceau. Aucune dégradation de lumière, qui mette chaque figure à son plan. Les derniers ne sont pas plus éloignés que les premiers, pourquoi sont-ils plus petits ? A droite de la file impériale, on aperçoit une masse de figurines microscopiques, sans doute un régiment qui cherche aussi à regagner la patrie ; mais la distance qui les sépare du groupe principal n’est point justifiée par la perspective des terrains. »

Ce morceau est curieux à lire, aujourd’hui, parce qu’il

  1. Voyez Muybridge, Animals in Motion. — The Walk, notamment page 39, série 4 « Horse Elberon, » p. 37, « Horse Clinton, » p. 35, « Horse Billy, » p. 31, série 3 « Thorough-bred Mare « Annie, » p. 27. et 28, série 2 « Horse Billy. »