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Il est de toute justice de reconnaître que M. Asquith n’a pas, au cours de cette lutte ardente, déployé moins d’énergie, moins d’activité, moins de ressources. Les chefs des deux grands partis historiques qui divisent l’Angleterre, — on peut, malgré leurs transformations, les appeler encore ainsi, — se sont montrés de dignes adversaires. La campagne électorale a été entre eux un long duel oratoire, M. Asquith répondant un jour à M. Balfour, M. Balfour répondant le lendemain à M. Asquith. Les deux cireurs s’escrimaient avec ardeur, attaquant, parant, ripostant, se portant des bottes, détournant les coups. Mais ce fut un duel à l’épée ; ce ne fut pas une partie de boxe. Il y eut cependant, du côté libéral du moins, un boxeur. Ce fut M. Lloyd George. Il faut qu’il y ait quelque chose de tristement changé en Angleterre pour qu’un Chancelier de l’Echiquier, un « membre du gouvernement de Sa Majesté, » ait pu, sans exciter la réprobation générale, sans être désavoué par ses collègues, tenir le langage qu’il a tenu, soit à Londres dans le faubourg populeux Mile End où il a traité les Lords de « vieux fromages, » de « ramassis de flibustiers, » de « Peaux-Rouges qu’il faudrait parquer dans une réserve où ils pourraient à leur aise dormir, chasser, et se vanter de ne rien faire, » soit dans une circonscription du Nord de l’Écosse où le dialogue suivant s’est engagé dans une réunion : « Que ferait-on, en Écosse, d’un chien qui mordrait les jambes des moutons ? demanda-t-il à ses auditeurs. — On le pendrait, répondit la foule. — Nous serons plus miséricordieux, reprit le Chancelier de l’Echiquier ; nous ne pendrons pas les Lords ; nous nous bornerons à les attacher par la patte. Ils pourront grogner et montrer les dents. Ils ne pourront plus faire de mal. » Au début de la campagne, les Unionistes espéraient que les violences de M. Lloyd George feraient plus de mal que de bien à la cause libérale. « Aux dernières élections, a dit l’un d’eux, M. Lloyd George a prononcé cent discours. C’est juste le nombre de sièges que nous avons gagné. » Il ne paraît pas, malheureusement, que M. Lloyd George ait fait cette fois perdre cent sièges aux libéraux.

Pour se consoler de cet abaissement de l’éloquence politique en Angleterre, il faut lire les deux discours prononcés par lord Rosebery à Manchester et à Edimbourg, les 30 novembre et 3 décembre. Cette descente de lord Rosebery dans l’arène électorale a produit un grand effet. Aux élections