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Communes et il comptait bien revenir avec le décret dans sa poche. En procédant avec cette précipitation, il avait pour dessein de surprendre ses adversaires politiques en plein désarroi, n’ayant encore ni arrêté définitivement leur programme d’opposition, ni déterminé le terrain sur lequel ils entendaient se placer. La manœuvre eût été habile, sinon très conforme à ce fair play que les Anglais se piquent d’observer. Mais il fallut compter avec le Roi.

Le roi George V se trouvait, pour ses débuts constitutionnels, dans une situation difficile. A la rigueur, il aurait pu répondre à M. Asquith : « Pourquoi me demandez-vous de dissoudre le Parlement ? Parce que vous estimez qu’une brusque dissolution serait favorable aux intérêts de vos amis politiques. Mais la dissolution n’est pas une arme de parti. C’est un droit que la Constitution me confère lorsqu’il est nécessaire de porter quelque grave question devant le pays, par exemple lorsqu’il y a conflit entre les deux Chambres. Or le conflit que vous prévoyez n’est pas encore né. Portez d’abord devant la Chambre des Lords les résolutions qui limitent son Veto. Si elle les repousse, je verrai ce que j’aurai à faire. » Il aurait pu ajouter qu’il n’était pas de l’intérêt public de jeter le pays dans l’agitation électorale à une époque de l’année où les transactions sont particulièrement actives, et qu’il y avait de plus quelque chose d’anormal à appeler les électeurs à voter d’après les anciennes listes électorales, alors que, pour les faire voter d’après les listes révisées, il suffisait d’attendre le 1er janvier.

Voilà ce qu’aurait pu répondre le roi George et ce qu’aurait peut-être répondu le roi Edouard. Mais le nouveau Roi, auquel on prête des sentimens plus favorables aux Unionistes que ne l’étaient ceux de son père, craignit peut-être, précisément à cause de cela, de paraître prendre parti pour eux. D’un autre côté, accorder la dissolution avec la précipitation à laquelle l’invitait M. Asquith était s’associer à une véritable manœuvre électorale. Ce fut à un moyen terme que George V s’arrêta. Sans refuser la dissolution à M. Asquith, et en la lui promettant même en principe, il ajourna de quelques jours sa réponse officielle et définitive. M. Asquith dut revenir à Londres assez mécontent, car le bruit de sa démission courut pendant vingt-quatre heures. Il ne la donna pas ; mais le refus du Roi d’accorder la dissolution immédiate améliorait incontestablement la situation des Unionistes.