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si vous n’y allez pas, Rome tombera au pouvoir d’agitateurs dangereux. J’aime mieux vous y voir. Mais il est bien entendu que la France ne vous donne aucun consentement et que vous accomplissez cette entreprise sous votre propre et unique responsabilité. » Le surlendemain, Nigra revint à la charge. « Vous ne maintiendrez pas votre décision, dit-il, elle est trop en opposition avec votre passé politique. Elle blessera l’Italie sans aucun profit pour vous. — Est-ce une condition que vous me posez ? — En aucune manière. — Eh bien ! je vous saurai beaucoup de gré de ne plus revenir sur ce sujet qui me peine et ne peut nous mener à rien[1]. »

Et l’Empereur, auteur de la Convention de septembre, et moi qui l’avais défendue contre Jules Favre, nous nous serions montrés plus accommodans que lui, nous aurions fourni des encouragemens que lui, le rebelle, s’était cru obligé de refuser !

Nous pensions en 1870 que, lorsqu’on a librement mis sa signature au bas d’un traité, on doit le respecter : il paraît que nous nous sommes trompés. Où nous ne nous trompions pas, c’est en discernant que, dans ce cas, la déloyauté ne nous eût été d’aucun avantage. La tâche de Victor-Emmanuel n’en eût pas été facilitée ni sa situation simplifiée. Sella n’admettait pas que l’Italie marchât contre la Prusse, même au prix de Rome ; un nouveau ministère avec Cialdini eût été aussitôt culbuté par le parti de l’action très puissant dans les villes de la péninsule, pour qui la haine de la France, si ce n’est lorsqu’elle est en état de saturnale anarchique, est comme un dogme. Sa véritable pensée est dans ce cri sauvage d’un député vénitien que les Prussiens eux-mêmes, victorieux, n’avaient pas poussé devant Paris affamé : Delenda Gallia ! « Le repos de l’Europe sera impossible, tant que la France, irrévocablement déchue du rang de première puissance, n’aura pas été coupée en plusieurs royaumes[2]. » La seule grâce qu’on nous accorde, c’est d’ajouter autonomes. Peu de temps avant sa mort, Garibaldi disait de nous à Crispi : « L’Allemagne a rendu un grand service à l’humanité en abaissant ce peuple. »

Ce parti eût été d’autant plus redoutable que Bismarck lui eût fourni la seule arme dont il manquait, l’argent. Les

  1. J. Favre, Rome et la République française, p. 6.
  2. « Delenda est Gallia » — Discorso di Pellatis, deputato di Montebelluna. Firenze, — tipografia Barbera, 1872.