Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’exposer à la carte à payer d’une défaite. Et ce ne sont pas ici des conjectures. Je répète ce qu’il m’a avoué fort lestement dans des conversations à Paris, lorsqu’il y était ambassadeur, en juin 1879. « En 1870, me dit-il avec un cynisme tranquille qui me déconcerta, je n’ai jamais eu l’intention de vous secourir par les armes. J’ai fait quelques préparatifs militaires pour que vous crussiez à notre bon vouloir et dans la crainte que, vous entendant avec la Prusse après les premières rencontres, vous ne lui livriez, moyennant une acquisition territoriale à votre profit, les États du Sud en nous excluant de toute influence en Allemagne. »

Gramont considérait Beust, non seulement comme l’ami de la France, mais comme son ami personnel. Il s’occupa de lui envoyer un négociateur. Nous n’étions représentés que par un chargé d’affaires, Cazaux, diplomate intelligent, actif, optimiste comme tous nos diplomates, mais que Beust trouvait susceptible, irritable, parce qu’il ne lui permettait pas de se cacher dans ses équivoques. Il semblait naturel d’envoyer à Vienne Lebrun qui avait arrêté le plan militaire avec l’archiduc. Le Bœuf le proposa. Je ne sais pourquoi l’Empereur n’y consentit pas. Gramont pria La Tour d’Auvergne d’accepter cette ambassade. On a parfois accusé ce diplomate d’être un faux bonhomme égoïste. Il montra en cette circonstance une abnégation touchante, et accourut de Vichy en disant à Gramont : « Je n’ai plus que peu de jours à vivre ; je suis affecté d’un diabète à son dernier degré ; souffrir ici ou souffrir à Vienne, cela m’est égal, j’accepte. »

Beust se félicita du choix de La Tour d’Auvergne, avec lequel il avait déjà entretenu de si bonnes relations personnelles, et qui était au courant, disait-il, de tous les pourparlers secrets. Mais avant que l’ambassadeur fût arrivé à Vienne, l’Autriche avait pris son parti. Un conseil général de l’Empire fut convoqué à la Burg, sous la présidence de l’Empereur, le lendemain de l’arrivée de Vitzthum (18 juillet). L’archiduc Albert, le président du ministère hongrois Andrassy, le président du ministère autrichien Polocki, le ministre des Finances Lonyai, le ministre de la Guerre Kuhn et le chef du protocole, Konradschin, avaient été convoqués. Beust ouvrit la séance par un exposé de la situation, exposé infidèle, car il ne révéla rien des projets de traités ébauchés avec la France, ni des lettres échangées entre les souverains, ni de la mission Lebrun, et le