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de grands avantages : que reçoit-elle en échange ? Ce qu’elle reçoit est loin d’être négligeable : toutefois, l’avenir seul montrera si la compensation a une valeur égale au bénéfice allemand. L’Allemagne reconnaît, en somme, la zone d’influence russe au nord de la Perse, à peu près dans les mêmes limites que l’avait déjà fait l’Angleterre ; de plus, elle s’engage à ne procéder à aucune construction de routes au nord de Kanikine, dans la région voisine soit de la frontière russe, soit de la frontière persane. On comprend sans peine que l’Allemagne, à qui on assure une voie de pénétration, renonce à en chercher d’autres, mais on comprend aussi que cette solution inspire une médiocre confiance aux Chambres de commerce russes qui espéraient se réserver le marché de la Perse et qui craignent de le voir envahi. Tel est, dans ses lignes générales, ce projet d’arrangement. Livré tout d’un coup à la publicité, il a jeté quelque désarroi dans les esprits. On a vu ce qu’en pensaient les journaux anglais. Avec leur esprit réaliste et pratique, ils se demandent, en présence du fait qui se révèle subitement à eux, quelles compensations leur pays doit demander ou s’assurer. Puisque la politique d’action solidaire entre les trois puissances a été abandonnée par l’une d’elles et, par conséquent, n’existe plus, que faut-il mettre à la place ? La réponse, en ce qui concerne l’Angleterre, n’est pas difficile à faire et, en effet, les journaux anglais parlent déjà des mesures à prendre pour assurer à l’influence britannique la prolongation du chemin de fer de Bagdad à partir de ce point jusqu’au golfe Persique. Là sont les intérêts anglais ; il n’y a pas à les chercher ailleurs. Mais nous aussi avons droit à des compensations et elles sont peut-être plus difficiles à déterminer. On reproche à notre gouvernement de n’avoir rien fait, de s’être endormi pendant que la Russie veillait, préparait, agissait, enfin courait au but qu’elle vient d’atteindre. Si elle l’a effectivement atteint après une marche de plusieurs années et si notre gouvernement en a connu les étapes, on ne saurait nier sa négligence ; mais il est plus probable qu’il a été paralysé par la politique que la Russie a suivie pendant une assez longue période et à laquelle elle a brusquement renoncé.

Alors la réserve de notre gouvernement s’explique, mais le résultat en reste regrettable : ce n’est que par des conceptions rapides et par une action immédiate qu’il peut être réparé. A prendre les choses dans leur ensemble, le Novoïé Vremia a raison : il n’y a rien de changé en Europe, ou du moins rien d’important, mais il n’en est pas de même en Asie. Nous y avons, sinon une revanche à prendre, au moins un équilibre à rétablir, et nous comptons pour cela sur le