Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attitude de l’Allemagne après l’annexion par l’Autriche de l’Herzégovine et de la Bosnie ; c’était là un passé qu’il fallait s’efforcer de liquider. Ces événemens sont trop récens pour qu’on en ait perdu le souvenir. L’émotion avait été très vive à Saint-Pétersbourg lorsque l’ambassadeur d’Allemagne avait mis l’épée de Brennus, l’épée de son pays, dans le plateau autrichien de la balance. Devant cette menace on s’était incliné à Saint-Pétersbourg, mais on avait protesté qu’on ne l’oublierait pas de longtemps. L’histoire montre, au contraire, que ces coups de force réussissent doublement, dans le présent et dans l’avenir prochain. Il est presque toujours utile de faire preuve de puissance ; les choses s’arrangent ensuite plus facilement ; les rancunes se calment, et la froide raison reprend ses droits. Quoi qu’il en soit de ces considérations, sur lesquelles il est inutile d’insister, la Russie a cru le moment venu, et elle ne s’est pas trompée, de reprendre avec l’Allemagne une conversation interrompue et de chercher à concilier, sur certains points, les intérêts des deux pays. Ce n’est pas nous qui lui en ferons un grief. L’alliance qui nous unit, quelque intime qu’elle soit, n’exclut nullement les arrangemens particuliers avec d’autres puissances, lorsque l’occasion de les faire se présente ; s’il en était autrement, l’alliance serait un principe de paralysie qui empêcherait les alliés de se développer chacun dans son sens naturel ; sous prétexte de garantir leur sécurité, elle les frapperait d’immobilité. Cet état contre nature ne serait pas supporté longtemps. Toutes les grandes puissances sont engagées aujourd’hui dans des systèmes politiques qui se font équilibre, et toutes ont contracté, en dehors de leurs alliances, des arrangemens spéciaux qui n’y portaient aucune atteinte. La Russie était libre de s’entendre avec l’Allemagne sur les points où leurs intérêts pouvaient s’accorder, et si elle y a réussi, ce n’est pas nous qui nous en inquiéterons. Nous nous en féliciterons au contraire, pourvu, bien entendu, que nos propres intérêts aient été respectés et que nos engagemens communs l’aient été aussi.

Nous avons dit où en était l’opinion allemande après l’entrevue de Potsdam et surtout après le discours du chancelier. Tout d’un coup, une note a paru dans le grand journal russe, le Novoïé Vremia ; l’effet en a été immense ; la fermentation de la presse allemande n’en a pas été calmée, mais elle a pris un autre cours. La note, qui avait des allures officieuses, disait simplement que les entretiens et les arrangemens de Potsdam n’avaient eu pour objet que les affaires asiatiques. S’il en était ainsi, que devenaient les longs espoirs et les