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Chateaubriand ; et toujours, à propos de chaque événement particulier de l’existence de l’auteur lui-même et de son amie, un éloquent chapitre de philosophie poétique ou de morale familière, tout semé de réflexions originales, d’ingénieux paradoxes, de comparaisons imprévues. Ou bien encore Humboldt entreprend de diriger les lectures de son amie : il lui explique l’intérêt des livres qu’il lui recommande, s’ingénie à lui faire comprendre la personnalité des écrivains, lui raconte de quel profit leurs ouvrages lui ont été, à lui-même.

Mais surtout l’attrait immortel de ces Lettres à une Amie leur vient de ce que, lettres d’amour ou de simple amitié, elles sont essentiellement des lettres de consolation. Depuis le jour où il a, en quelque sorte, obligé Charlotte Diede à renouer avec lui ses affectueux rapports d’autrefois, Guillaume de Humboldt paraît vraiment s’être donné pour unique mission de lui alléger le poids d’une vie qu’il devinait condamnée désormais à la solitude et à la souffrance. Il voulait que chacune de ses lettres fût, pour la pauvre femme, une source active de réconfort intellectuel et moral, — employant à cette tâche, avec tout son cœur, l’incomparable habileté psychologique qui naguère l’avait élevé au premier rang des hommes d’État de l’Europe. Et de cette consolation, destinée à l’usage particulier de l’ancienne amie de Pyrmont, il est bien sûr que la meilleure partie s’en est conservée et transmise jusqu’à nous, avec une fraîcheur, une clarté, une efficacité merveilleuses. Personne, aujourd’hui encore, ne saurait lire cette série de lettres sans prendre involontairement, à sa lecture, un singulier plaisir d’ordre tout intime, un peu pareil à celui que nous procurent des œuvres comme les charmans traités de saint François de Sales. Par là s’explique, évidemment, l’admirable fortune d’un livre dont il semble que les années n’agissent sur lui que pour en mieux dégager la vivante beauté : et je ne puis m’empêcher de penser que, même chez nous, forcément dépouillées du charme délicat de leur style, les Lettres à une Amie auraient de quoi devenir, pour maintes âmes, l’un de ces précieux « bréviaires d’internelle consolation » que rêvait volontiers de nous offrir, au soir de sa vie, l’auteur des Dialogues philosophiques et de Caliban.


T. DE WYZEWA.