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cette exactitude qui est éminemment celle du peintre de mœurs, l’exactitude de demain. Ainsi le temps aura été, pour cette œuvre de Victorien Sardou un précieux collaborateur. De la comédie satirique et fantaisiste il a dégagé la comédie de mœurs.


Un jour Catulle Mendès rencontrant M. Fernand Gregh lui annonça d’un verbe ému : « Je viens de découvrir une femme de génie ! » « Ah ! » fit M. Fernand Gregh, sans s’étonner pour si peu, car il appartient à une génération où les femmes de génie sont devenues presque moins rares que les femmes. La pièce qui valut à Mlle Marie Lenéru l’enthousiasme de Catulle Mendès, les Affranchis, rappelle, sans en avoir les grands mérites de forme, le théâtre de M. François de Curel. Elle est bien conduite, assez touchante, et fort claire.

Philippe Alquier est le professeur de philosophie à la mode. On a fait du bruit à son cours : il a toutes les chances. À quarante-cinq ans, il a encore l’air très jeune et il l’est en effet : c’est qu’il a beaucoup travaillé et ne s’est pas du tout amusé : l’un et l’autre sont d’une excellente hygiène. Marié depuis treize ans, il a été et il continue d’être un mari irréprochable. Non qu’il ne soit très sollicité. Sa dactylographe, qui est une belle fille, s’offre à lui avec une superbe impudeur : il la repousse dédaigneusement. Sur ces entrefaites, la supérieure des Cisterciennes, dont l’ordre vient d’être dispersé, et qui est la belle-sœur de Philippe Alquier, se réfugie chez lui. Elle amène avec elle une novice, Mlle Hélène Schlumberger. Entre le professeur athée et la novice défroquée, s’établit bientôt une intimité, oh ! tout intellectuelle, mais très étroite. Hélène et Philippe travaillent à la même table, lisent les mêmes livres. Il n’y a pas à s’y tromper : c’est l’amour sans la faute, mais quand même l’amour. La femme de Philippe en souffre profondément et s’en plaint en des termes dont il est impossible de ne pas admirer la réserve et l’émouvante simplicité : « Que puis-je te dire ? Jusqu’à ces derniers mois, j’ai connu une telle paix ! Assurée d’avoir mené la vie d’une femme heureuse, je me préparais à vieillir, à mourir doucement. C’était une chose étrange, un peu ridicule, dont je m’enorgueillissais : on ne connaissait pas un écart dans la vie de Philippe Alquier. On disait : C’est un chaste, l’intelligence lui suffit… » Il va sans dire que Philippe répond par de la colère et par de l’ironie aux justes représentations de sa brave femme de femme. Mais, quelques instans après, nous l’entendons avouer à un ami : « Demain je serai l’amant d’une jeune fille et j’aurai quitté femme, enfans et métier. » Il propose d’abord à Hélène de l’épouser après avoir divorcé ;