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dans le sang, ce Montmartre, et s’en exprime dans un style qui n’est pas sans prétention : « Moi ! je suis une sauvage. Mes vieux, pas ceux qui m’ont mis au monde, mais les autres, dans le temps qu’il n’y avait pas encore des chemins de fer, ils se baladaient sur la grande route dans une roulotte. Ils mangeaient des lieues tous les jours. Et puis, ils ont rencontré la Butte, tu sais bien, la vraie, la seule. Ça leur a plu. Ils sont restés. Depuis, la famille a habité dans des maisons, mais moi ça rêve toujours dans mes veines ce goût de la liberté, ce goût de Montmartre. Je suis la bohémienne de la place Blanche, mon pauvre petit, et, rien que d’en reparler, ça me rend folle. » Voilà un couplet joliment bien tourné, et nous ne nous serions jamais doutés que Marie-Claire fût une personne si littéraire. Ce lyrisme nous paraît d’ailleurs terriblement vieillot. Et il est pris ici à contresens. Car nous connaissons de longue date le boniment sur la Butte, la vraie, la seule. Il était fort plaisant, débité par le gentilhomme-cabaretier Salis. Mais retrouver sous forme sérieuse et même dramatique ce boniment « à la blague, » voilà ce qui nous confond.

Au troisième acte, nous voyons que Marie-Claire est richement entretenue par un financier qui lui a donné une villa à Ostende et un collier de perles de quatre cent mille francs. Mais Marie-Claire n’a pas plus de goût pour les somptuosités de la haute galanterie que pour les médiocrités d’une vie bourgeoise et honnête. Elle ne se plaît décidément que dans la basse noce. Telle est sa psychologie. Aussi a-t-elle, au quatrième acte, réintégré le Moulin-Rouge. Elle est plus usée, plus hideuse qu’au premier acte… Cela fait beaucoup de peine au célèbre compositeur Maréchal, et aussi à son ami, le dessinateur génial. Mais on ne dira jamais assez à quel point cela nous laisse indifférens. Je crois que le public est saturé de ce genre de littérature, et qu’il commence à en soupçonner la niaiserie.

Mlle Polaire, d’une remarquable nervosité à la fin du second acte, a été la principale attraction de cette pièce.


C’est une reprise de la Famille Benoiton qui, sur l’affiche du Vaudeville, succède à Montmartre. Je me réjouis qu’on ait choisi dans le répertoire de Sardou cette pièce qui m’a toujours paru en être le chef-d’œuvre. Je sais tout ce qu’on peut lui objecter : elle est un peu conçue à la manière d’une Revue dont Clotilde et Champrosé seraient la commère et le compère ; l’intrigue en est assez artificielle ; et l’optimisme du dénouement y est une concession au goût du public, où la logique ne trouve guère son compte. Mais ce que nous demandons