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qui refuse le divorce, en sorte qu’il est réduit aux consolations illégitimes. C’est le roman de la femme de quarante ans. Les deux tourtereaux vont s’offrir un petit voyage en Égypte : ils feront partie d’une croisière. Ce projet de voyage fait jaser. Le gendre de Mme Journand, Léon, un notaire, s’il vous plaît, a été délégué auprès de la bonne dame pour lui faire entendre quelques représentations. Dans le théâtre de nos pères, elle eût probablement invoqué les circonstances atténuantes et essayé d’apitoyer son juge. Mais les temps sont passés de l’adultère honteux et larmoyant. La morale nouvelle est fondée sur le droit au bonheur. Ce droit est généralement réclamé par de jeunes femmes avides de se mal conduire ou par des demoiselles pressées de connaître les réalités de l’amour. L’idée de mettre la théorie dans la bouche d’une matrone est des plus ingénieuses. Cette presque grand’mère tient exactement les mêmes bonimens individualistes et norvégiens que débitent les petites détraquées qui ont lu de mauvais livres. Le contraste entre la maturité de la dame et la jeunesse de ses propos est, par lui-même, d’un effet de comique excellent. C’est une dérision des doctrines à la mode, et dont l’auteur a trouvé précisément la traduction scénique. C’est de bonne critique et de bon théâtre. Vertu, réputation, famille, la grosse Journand jette tout et le reste par-dessus les moulins, et elle s’embarque pour Cythère en Égypte.

Elle en revient au bout de six mois, toute frissonnante encore de plaisir, avec des étiremens de chatte amoureuse : la réalité a passé ses espérances. Hélas ! Va-t-il falloir s’éveiller de cette torpeur voluptueuse ? Mme Journand apprend que le ménage de sa fille Antoinette et de son gendre Léon, le notaire, ne va pas. Antoinette s’ennuie auprès du parfait notaire. Elle a beaucoup plus de plaisir dans la conversation du jeune Denver. Il est grand temps de mettre le holà ! Mme Journand, à la requête de son gendre, promet d’intervenir ; elle promet mollement et comme à regret. Dans l’état de sensibilité, disons mieux, de sensualité qui est présentement le sien, toute sa sympathie va vers les amoureux, vers les jeunes. Et puis, de s’occuper du ménage de sa fille, cela va lui prendre bien du temps, gêner ses rendez-vous, contrarier ses affaires de cœur. Elle est encore presque uniquement amante, et mère si peu que rien.

Toutefois l’évolution est commencée. Nous allons la voir, au troisième acte, s’accentuer et s’accélérer devant l’imminence du péril. Car le désaccord est profond dans le ménage de ses enfans ; et une mère s’en serait aussitôt aperçue, si elle n’avait eu elle-même sur les yeux le bandeau de l’amour. Léon souffre cruellement ; c’est un