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ou Pie IX, Charles-Albert ou Garibaldi, semblent vivre encore dans l’Italie d’aujourd’hui, par le culte de leur mémoire, par la passion que l’on apporte à la discussion de leurs idées, par l’évocation continue de leurs grandes figures. On ne se bat plus autour de la brèche de la Porta Pia, mais on s’y dispute encore. Chaque ville travaille pour son compte, par les cérémonies publiques qu’elle célèbre, par les monumens qu’elle érige, par les sociétés savantes qu’elle encourage, à ce que les liens qui la rattachent à son passé immédiat ne soient pas rompus. C’est un fait curieux à constater, que le Risorgimento occupe la conscience italienne avec une intensité qui n’a guère varié depuis le premier jour. Ce que le temps a apporté, c’est le loisir de le contempler avec plus de soin qu’on n’avait pu faire dans l’ardeur de l’action ; de le juger avec plus d’impartialité ; de reconnaître que, même aux époques d’héroïsme, la faiblesse Humaine ne perd pas ses droits ; et d’établir des comptes. Rovetta donne bien l’impression du malaise sans lequel ne vont point, d’ordinaire, les bouleversemens politiques. On constate, avec lui, que tout ne s’est pas passé suivant les lois idéales de l’épopée. La menace des guerres toujours prêtes à éclater, ces guerres même, l’intervention de l’étranger, l’instabilité des traités, l’insécurité du lendemain : tout cela favorisait un désordre, que les charlatans et les coquins de toute espèce ont largement exploité. Et ces désordres se prolongent pendant les premiers temps du jeune royaume, qui n’a pas lu vertu surhumaine de satisfaire tout d’un coup les convoitises, et de calmer subitement les passions.

Mais il nous montre, en même temps, que ce n’est point là l’essentiel, que la conscience italienne se sent moins attristée de ces petitesses, qu’elle ne se réjouit des gloires intactes ; il nous rend les témoins de ces admirables élans d’enthousiasme qui l’ont agitée tout entière. Il fait ressortir l’intensité du patriotisme qui anime un peuple vieux de gloire, et jeune d’espérances. Oui, quand ce sentiment, dans les autres pays d’Europe, commence à être discuté, en Italie, il demeure encore un instinct ; il est la force vive, qu’on est obligé de contenir plutôt que d’exciter ; il est l’idéal, qui provoque et qui conduit les faits. Si on n’avait pas la sagesse de l’arrêter dans son expansion, il franchirait sans doute les frontières, et ne craindrait pas de provoquer les plus graves conflits : ceux qui sont chargés