Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucun lieu du monde ! Il fait bon y vivre, en effet, et le portrait de la capitale lombarde mérite aussi bien de durer que celui d’autres cités plus belles. Il y a des endroits qu’on aime, non pour leur décor extérieur, mais pour des raisons plus intimes qu’il est parfois difficile d’analyser : pour l’accueil qu’on vous y fait, pour le caractère des habitans, pour la nature des idées qu’on y entend exprimer, pour la couleur et pour la tonalité générale de l’existence qu’on y mène. Il est difficile de nier que Munich, par exemple, soit gemütlich : et de même que Milan soit simpatica. Ce sont là des harmonies étranges et certaines. Quand on a fait plus que de courir, guide en main, de la cathédrale à la Brera, et de l’Ambrosiana au Castello ; quand on a goûté à des tables amies les délices du risotto et du panettone, on conserve longtemps le souvenir de cette vie large et facile, où le goût de l’action n’exclut pas celui de l’idée, où les littérateurs n’apparaissent pas moins nombreux que les banquiers ou les industriels, où le sérieux de la raison s’accompagne d’un délicieux humour. De toutes les nostalgies qu’on emporte de l’Italie, celle de Milan n’est ni la moins durable, ni la moins forte.

Rovetta sera précieux aussi, pour qui voudra faire la psychologie historique de l’Italie après l’unité. Nous disons la psychologie historique et non point l’histoire. Car pour celle-ci, quelque soin qu’il ait pris de s’entourer de documens et de textes, il manquait de préparation profonde. Au contraire, l’image que les contemporains se forment de la période qui précède la leur ; la façon dont les fils vont jugeant l’œuvre des pères ; comment le présent interprète le passé : voilà ce qu’on pourra lui demander. Il ne bâtit pas l’histoire de l’Italie : il fournit des documens, — ici encore, — sur l’état d’esprit de la nation.

Cet état d’esprit est complexe. Le souvenir des faits n’est pas aboli ; il n’entre pas encore dans la pénombre. On entend rappeler, dans les conversations, les noms des batailles célèbres qui marquèrent, comme des étapes, la formation de l’unité. Les journaux évoquent le souvenir de ceux qui travaillèrent à l’œuvre commune. Ce ne sont pas seulement les érudits qui connaissent le détail des événemens : la foule des gens moyennement cultivés les connaît aussi, comme si elle les avait vécus. Point de traces de cette indifférence qui précède l’oubli ; Cavour