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l’hérédité ? C’est presque en souriant : nous apprenons que si le fils d’un épicier et d’une épicière court les tripots, fait des dettes, et rêve de la gloire des armes, ses surprenantes dispositions viennent de ce que l’épicière a trompé l’épicier avec un lieutenant de cavalerie. Rien de mystérieux dans les âmes : tout est clair, tout est simple, tout s’accomplit par le jeu normal d’un mécanisme qu’on peut voir fonctionner en entier. Les étranges attractions des amours irrévocables, les servitudes de la douleur, l’injustice fondamentale du sort : tout cela existe ; on ne peut rien dire de plus : ou du moins, Rovetta ne dit rien de plus. Il en va de même pour la nature. La pluie est faite pour retenir les gens au logis ; et le soleil, pour leur permettre de sortir à leur aise. La neige est triste, à la vérité ; et il est indispensable de mettre un bon pardessus quand il fait du brouillard ; autrement, on risque de s’enrhumer. Les hôtels de la Suisse sont comme des parties nécessaires de ses montagnes ; leur existence semble parallèle à celle des glaciers ; peut-être le tout, glaciers, hôtels, montagnes, a-t-il surgi en même temps. Rovetta ne s’en tient pas toujours là. Il se montre quelquefois sensible au pittoresque ; mais il ne regarde jamais la nature que comme un beau décor ; cette matière n’est point pétrie d’idées ; il n’y a pas d’âme qui la fasse vivre, et la rende hostile ou favorable à l’homme ; elle est tout au plus un accessoire agréable de la vie de tous les jours. C’est une conception : avouons qu’elle manque non seulement de noblesse, mais même d’intérêt artistique ; elle appauvrit et elle dessèche. Voilà pourquoi l’on peut bien comparer Rovetta avec d’Annunzio et Fogazzaro, pour le succès : non point pour le mérite ou pour la gloire. Cet âpre désir de jouissance, consolation désespérée de la brièveté humaine, qui se retrouve dans les œuvres du premier ; cette profonde inquiétude morale, source de perfectionnement, qui caractérise les romans du second, n’ont pas chez Rovetta de sentiment qui leur réponde. Il s’est lui-même interdit l’accès d’une partie de l’âme, la meilleure.

Peut-être sommes-nous trop exigeans ? Renonçons à lui demander ce sens du mystère, qui n’est concédé qu’à quelques privilégiés. Mais qu’il consente au moins à nous dire ce qu’il pense des apparences, et à prendre parti. Il nous peint quelquefois des paysans ou des ouvriers. Les aime-t-il ? Les dédaigne-t-il ? Est-il avec la foule hurlante des pauvres gens en révolte,