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profondes : il n’a pas écrit d’œuvre qu’un mouvement aussi brutal emporte d’un bout à l’autre, et qui donne mieux l’impression d’une puissance effrénée. Cette seule constatation suffit à en établir la valeur.


II

Or ici, des voix discordantes s’élèvent, non point assurément pour contredire ces éloges, mais pour les atténuer. Ce n’est pas, en effet, que Rovetta compte des adversaires irréductibles, qui condamnent son œuvre en bloc, et méprisent indistinctement tout ce qui est sorti de sa plume : seuls les chefs de parti, qui ont nettement agi pour ou contre une doctrine, provoquent vivans et morts ces haines vigoureuses. Les critiques le blâment moins de ce qu’il a fait, que de ce qu’il a négligé de faire. Ils lui en veulent un peu de ce qu’ayant cherché à se corriger, ayant réalisé même des progrès remarquables, il soit cependant resté assez sensiblement le même : si bien que les défauts qu’on signalait au début de sa carrière, apparaissaient encore à la fin. Ils disent qu’à la lecture de chacun de ses livres, ils prévoyaient un point de perfection qui chaque fois semblait tout proche, et qui pourtant n’a jamais été atteint. Ils disent que l’ensemble de son œuvre leur fait éprouver la même irritation bienveillante : intéressante à beaucoup d’égards, fort belle par endroits, elle est d’un homme qui fut presque un très grand romancier, et presque un très grand dramaturge : il y a le « presque. » Et ceci même est curieux : dans chaque pièce de théâtre, on voyait l’étoffe d’un roman remarquable ; et dans chaque roman, une pièce de théâtre. On louait donc de grand cœur les qualités dont Rovetta était doué : mais avec la déception de sentir qu’elles auraient dû porter plus de fruits, et de plus beaux.

Peut-être est-ce dans la nature même de sa pensée que se cache le défaut. Apte à saisir l’extérieur des choses, elle ne pénètre pas assez avant ; elle s’arrête aux surfaces ; elle n’atteint jamais les profondeurs. Questions inutiles, que de se demander de temps à autre, en s’arrêtant au milieu de sa route, d’où l’on vient, et où l’on va ! Ses personnages meurent comme ils vivent, sans manifester qu’il y ait en eux des forces supérieures à eux-mêmes, sans essayer de les sortir de l’ombre où elles se tiennent cachées. Aborde-t-il par hasard la Question de