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rassemblement. Un bijoutier qui a mal fait ses affaires est conduit en prison par la police. Est-ce un voleur ? Non pas. Mais il s’est laissé tromper par des coquins. « Les honnêtes gens, aujourd’hui, sont ceux qui savent voler beaucoup et bien. » Le jeune Pompeo Barbetta réfléchit sur cette maxime, qui deviendra la règle de son existence. Econome désormais, avare, il accumule les écus que ses parens gagnent pour lui. Mais il sent bien que ce moyen est insuffisant pour arriver à la richesse. Il joue ; il perd. Il est menacé d’être conduit en prison, comme le bijoutier, faute de pouvoir payer son loyer. Sa fortune veut qu’en cette extrême misère, il épouse la concierge de la noble maison des Alamanni. Betta Barbarò est laide et bossue ; mais elle possède un petit pécule, dû à l’inépuisable générosité de ses patrons. Pompeo Barbetta-Barbarò le risque dans des entreprises financières, qui tournent mal. Il hait sa femme, il hait le fils qu’elle lui a donné, il hait ses maîtres ; il n’a pas d’argent.

Giulio Alamanni perd sa femme, et ne se rattache à l’existence qu’en travaillant pour sa patrie. Nous sommes en 1849 : il se fait conspirateur, il est banni et poursuivi par les Autrichiens. Un soir, en cachette, il entre dans sa propre maison, pour y chercher de l’argent, qu’il confie provisoirement à Pompeo Barbetta-Barbarô, son concierge fidèle. La somme est importante, cinquante mille francs. Elle se trouve là, dans le vieux coffre de fer, destiné jadis à recevoir les économies du ménage… Le serviteur dénonce son maître, que la police vient arrêter dans cette nuit tragique ; et comme sa femme pourrait parler, il lui serre un peu le cou pour l’obliger à se taire ; elle meurt. Il possède l’argent.

Maintenant, il suit le cours d’une vie prospère. Directeur d’une agence louche, usurier, spéculateur, il vend aux Autrichiens des vivres qu’il revend aux patriotes, quand les Autrichiens sont chassés ; il s’enrichit toujours. Pourquoi son fils n’épouserait-il pas la fille que Giulio Alamanni, mort au Spielberg, a laissée ? Les jeunes gens s’aiment. Cependant des mauvaises langues font courir des bruits fâcheux ; on parle d’espionnage ; on intente un procès aux fournisseurs criminels, coupables d’avoir vendu aux garibaldiens des fusils qui éclataient dans leurs mains. Le fils de Pompeo, qui est une âme pure, apprend ainsi l’infamie de son père, et tente de se suicider. Rétabli par les soins de sa fiancée, il l’épouse, en refusant désormais d’avoir