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apparaissent tout d’un coup, prennent une part active à l’intrigue, concentrent sur eux l’intérêt pendant quelques jours, quelques heures, quelques instans : puis ils s’en vont, quelquefois sans prendre congé, avec l’illogisme tranquille du réel. Tel ce Salvatore Cammaroto dans la Baraonda, qui vient mêler les fils d’une intrigue électorale et part pour la Suisse une fois l’élection finie, sans qu’on entende jamais plus parler de lui ; tel ce Vharé, dans Mater dolorosa, qui semble destiné à faire les utilités, prend subitement une importance inattendue, rentre dans la pénombre, se retrouve en pleine lumière, et se sauve pour toujours ; tels les ministres, les députés, les secrétaires, les femmes du monde, les actrices, et la foule des caractères nouveaux qui viennent remplir la troisième partie de La Moglie di Sua Eccellenza. De même, — et toujours comme dans la vie, Rovetta nous montre des personnages moyens, dans lesquels il rappelle l’humanité quand ils devraient faire preuve de vertus surhumaines. À Giorgio della Valle, qui est noble et généreux, il ne manque qu’un peu de clairvoyance, pour faire cesser le supplice de la femme qui l’aime en secret. Mais précisément, il lui manque de la clairvoyance, parce que la perfection n’est pas commune en ce monde, et que Rovetta ne veut pas peindre des héros de romans. Si le major Andréa Martinengo luttait, à un moment décisif de sa destinée, contre l’amour-propre stupide qui le rend jaloux de l’affection que la femme aimée garde pour son fils, il joindrait à toutes les qualités qu’il possède déjà une force sublime : le sublime risque d’être une imagination des littérateurs. Montrer une faible proportion de coquins dans une forte proportion d’honnêtes gens serait plus moral, mais moins vrai ; les petites bassesses, les lâchetés utiles, les vilenies profitables, apparaissent presque à chaque page, comme elles se font jour presque dans chaque âme. Peu de psychologies idéalisées, dans le bleu ; peu de psychologies dramatisées et poussées au noir. Celles-ci seraient susceptibles de tenter davantage, comme prêtant à des effets plus faciles et plus vigoureux. Mais Rovetta résiste à cette tentation même ; il n’agrandit pas, il ne poétise pas le crime ; et il le fait presque toujours servir à l’intérêt.

De là résulte un tableau de ta vie qui ne réjouit pas les yeux. Mais qu’y faire ? « Je rends au public ce qu’il m’a prêté… » Ceux qui ne peuvent lire un roman sans désirer que les choses finissent bien ; qu’un mariage opportun réunisse des amoureux