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acceptable pour une somme relativement minime, mais qui deviendrait dangereux s’il s’agissait de plus gros emprunts, dans un pays dont les ressources sont loin d’être mises en valeur, et par des hommes politiques auxquels on ne fait pas injure en disant qu’ils manquent d’expérience. Une fois de plus, l’Allemagne a travaillé dans son intérêt propre et immédiat contre les intérêts généraux et permanens de l’Europe.

En France, l’incident de l’emprunt a permis de définir une règle de conduite dont, il faut l’espérer, le gouvernement ne s’écartera plus. Quoi qu’en dise la vieille école du libéralisme économique, l’argent n’est pas « une marchandise comme les autres. » L’État a le devoir de s’assurer d’abord que l’épargne française ne sera pas exposée à une catastrophe, et ensuite qu’elle ne servira pas à des fins politiques ou militaires contraires à nos intérêts ou à ceux de nos amis. Un grand emprunt ne peut pas ne pas être précédé d’une conversation qui, nécessairement, touche à la politique, laquelle est inséparable de la finance. Nos alliés russes eux-mêmes le savent et n’ont jamais songé à s’en étonner La Jeune-Turquie serait mal venue à se montrer plus ombrageuse. L’épargne française est un élément de notre force ; cette force doit être employée dans le sens de notre politique : le gouvernement a le droit et peut trouver le moyen d’exercer sur les banques une action suffisante pour qu’elles n’oublient pas que les capitaux, pour devenir une force, ont, comme les armées, besoin d’une discipline.

Un autre enseignement se dégage de l’incident de l’emprunt. À le regarder de loin, il fait l’effet d’un malentendu. La Turquie, si elle veut sérieusement travaillera sa régénération, a besoin de la France ; la difficulté avec laquelle 32 établissemens financiers allemands et autrichiens, sur l’injonction formelle de l’empereur Guillaume, ont trouvé 150 millions à un taux très avantageux pour eux, est la preuve que la réorganisation administrative et la résurrection économique de l’Empire ottoman ne peuvent se faire qu’avec le concours de la France et de ses capitaux. La Turquie débitrice a tout avantage à avoir pour créancière la France qui n’a pas, en Orient, d’intérêts territoriaux et qui ne peut pas être tentée d’exiger d’elle, en échange de ses capitaux, l’aliénation d’une parcelle quelconque de sa souveraineté ou de son indépendance. Nos intérêts économiques sont conformes à ceux de la Turquie elle-même. L’Allemagne,