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L’entrevue de Potsdam devrait, cependant, les faire réfléchir, et la désinvolture avec laquelle l’empereur Guillaume a « lâché » Abd-ul-Hamid est un précédent qui prouve que les amitiés, même impériales, ne sont souvent qu’une forme de l’intérêt. N’est-ce pas déjà sur le conseil de la diplomatie allemande que l’avancée turque en Perse a été arrêtée peu de jours après l’entrevue de Potsdam ? Aussi sommes-nous persuadé que la Jeune-Turquie est assez avisée pour ne s’inféoder à personne et pour chercher adroitement son avantage où elle croit le trouver. Quant aux sympathies personnelles des hommes actuellement au pouvoir, tout au moins des civils, elles vont certainement à la France qui seule n’aura jamais, tant qu’il existera une Turquie, d’ambitions territoriales en Orient, et qui a toujours témoigné aux Jeunes-Turcs les sympathies que méritent leur courage et leur intelligence. L’incident de l’emprunt n’a rien changé et ne changera rien à ce qui tient à la nature des choses et au caractère des hommes.


IV

Nous disons l’incident de l’emprunt, et, en effet, ce n’est qu’un incident, mais, à la vérité, regrettable et digne de suggérer d’utiles réflexions. La presse, de part et d’autre, a grossi le malentendu ; elle l’a même, en grande partie, fait naître. Dès qu’ils ont vu que l’affaire de l’emprunt n’allait pas sans difficultés, les journaux jeunes-turcs se sont emportés à des attaques violentes et injurieuses contre la France et son gouvernement, et certains journaux français ont fait à la Jeune-Turquie des reproches extrêmement vifs. Ces polémiques de presse seraient de peu conséquence si, en Turquie surtout, où la population n’est pas encore habituée à la vie politique et aux violences des journalistes, le public n’avait été exposé à prendre pour argent comptant ce qui n’était que « bluff. » Jamais le Tanin, par exemple, n’attaqua plus violemment la France qu’au moment où le grand vizir Hakki pacha était, à Vers-en-Montagne, l’hôte de M. Pichon ; mais ce n’est un secret pour personne que ces attaques étaient inspirées par le ministre des Finances qui aurait été dans une situation difficile si le grand vizir avait réussi dans une négociation où lui-même venait d’échouer : solidarité ministérielle qui n’est pas spéciale à la Turquie !