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ne serait pas de nature à alarmer les Turcs, tant que la Roumanie servira, au nord du Danube, de contrepoids à l’entente slave et formera une barrière entre la Russie et la Bulgarie.

La situation diplomatique de l’Empire ottoman est donc bonne. Les puissances, à l’envi, s’efforcent de lui épargner les difficultés et les réclamations, même justifiées. Jamais héritière de grande espérance ne fut plus flattée, ni plus courtisée. L’Allemagne, qui pratiqua le même jeu au temps d’Abd-ul-Hamid, fait valoir les services rendus à l’armée ; la Russie se targue des bons conseils qu’elle a donnés à la Bulgarie et de son intervention pacificatrice en février 1909 ; la France revendique la paternité de la révolution de 1908 ; l’Angleterre vante les services rendus après San Stefano ; il n’est pas jusqu’à l’Autriche qui n’ait eu l’art de présenter sous un jour favorable l’annexion de la Bosnie-Herzégovine et de dissimuler les avantages qu’elle trouve à maintenir l’anarchie dans la Turquie d’Europe. Entourés de tant d’amis empressés, les Jeunes-Turcs ne cherchent que l’intérêt de leur pays et celui de leur parti ; ils ne découragent personne, mais ne se lient, quoi qu’on en ait dit, avec personne ; ils ne sont pas dupes des manifestations intéressées, mais peut-être se trompent-ils parfois sur ce qu’eux-mêmes ont lieu de craindre ou d’espérer. En tout cas, nous ne croyons pas qu’une politique de faiblesse soit celle qui leur agrée le mieux. Lors des massacres d’Adana, le consul de France s’est enfermé chez lui, les navires de guerre ont reçu l’ordre de ne pas débarquer un matelot, et ni pour nos écoles détruites, ni pour les maisons des deux drogmans du consulat démolies, nous n’avons insisté pour obtenir une suffisante indemnité. La France, en Orient, a toujours su concilier la protection des chrétiens avec l’amitié des Turcs ; c’est, plus que jamais, la voie à suivre, et, s’il est vrai qu’il n’y a de salut pour la Jeune-Turquie que dans une réconciliation de toutes les races et de toutes les religions qui vivent dans l’Empire, les Jeunes-Turcs nous sauront gré un jour de les avoir aidés à la réaliser.

La Jeune-Turquie n’a donc que des amis. Elle pourrait perdre quelques-uns d’entre eux si elle s’égarait, sur les traces d’Abd-ul-Hamid, dans les voies du panislamisme. Nous sommes persuadé que les hommes qui la dirigent ne désirent pas s’engager dans une politique d’impérialisme musulman dont ils sont trop avisés pour ne pas apercevoir les lendemains