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uniforme. Quatre grandes inspections d’armée ont été créées. Andrinople est devenu un camp retranché solidement fortifié. La discipline paraît restaurée ; mais il reste l’exemple dangereux d’une armée marchant contre son souverain sous la conduite de ses généraux ; quand le virus de la politique a pénétré dans un organisme militaire, il est malaisé de l’en extirper.

L’une des conséquences de la révolution a été le service militaire universel ; il a été appliqué, depuis le mois de mars 1910, en vertu de deux articles ajoutés à la loi de recrutement. L’étude d’une loi nouvelle, mieux adaptée à une armée qui n’est plus exclusivement musulmane, est commencée. L’incorporation des chrétiens avait une très grande importance : elle pouvait être le plus puissant outil de fusion des nationalités et des religions dans l’unité de l’Empire. Désirée par les chrétiens eux-mêmes, elle s’est opérée sans grandes difficultés ; mais elle n’a pas donné tous les résultats qu’on aurait pu en espérer parce qu’elle a été accomplie sans études préalables et sans plan d’ensemble. Au lieu d’appeler les hommes de la classe de cette année avec leurs camarades musulmans, quitte, si on le jugeait nécessaire, à faire faire quelques semaines d’exercice aux hommes plus âgés susceptibles d’être utilisés en temps de guerre, on a imaginé d’appeler les hommes de six classes, en commençant par les plus âgés ; des hommes de vingt-sept ans ont été incorporés et, jusqu’ici, personne n’a pu leur dire pour combien de temps. La durée légale du service est de trois ans, mais il serait inique de maintenir aussi longtemps sous les drapeaux des hommes de plus de vingt-cinq ans, presque tous mariés, pères de famille qui étaient loin de s’attendre à une telle mesure. Par ailleurs, l’incorporation des chrétiens n’a pas soulevé d’incidens graves ; le commandement avait donné des ordres très sévères et les officiers se sont en général bien comportés envers les recrues chrétiennes. L’erreur que nous avons signalée est caractéristique ; elle montre comment une mesure excellente en elle-même peut se trouver dénaturée et comment les meilleures lois produisent si rarement, en Turquie, tous les bons effets qu’on serait en droit d’en attendre.

Quoi qu’il en soit, l’armée ottomane est aujourd’hui prête à combattre énergiquement un agresseur, d’où qu’il vienne. Il faut souhaiter que le sentiment de sa force reconquise n’entraîne pas la Turquie à une politique d’agression qui lui serait