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Et voici que, plus que jamais, les affaires balkaniques occupent les chancelleries, remplissent la presse, émeuvent l’opinion. La Macédoine est de nouveau frémissante ; les combinaisons d’alliances et d’ententes européennes n’ont pas cessé de s’ordonner en fonction des événemens d’Orient et de se prémunir en prévision d’un avenir encore incertain de l’Empire ottoman. — Après trente mois écoulés, l’heure n’est pas encore venue d’établir un bilan définitif de l’actif et du passif de la Jeune-Turquie ; mais certains résultats commencent à apparaître, certaines directions à se dessiner. L’affaire de l’emprunt ottoman a récemment provoqué des débats sur la situation de l’Empire ottoman. Nous voudrions esquisser aujourd’hui l’analyse de cette situation.


I

C’est une erreur commune de trop attendre des révolutions ; elles sont obligées de beaucoup promettre, pour excuser leurs violences, et les conséquences de ces mêmes violences les empêchent de beaucoup tenir : de l’ordre détruit à l’ordre restauré, elles traversent une ère de troubles et d’incertitude ; les enthousiasmes des premières heures subissent l’usure du temps ; les intérêts privés restent quand les illusions tombent. L’Europe fut reconnaissante à la révolution qui emporta Abd-ul-Hamid, mais elle se montra aussi, vis-à-vis d’elle, trop exigeante ; de là des désillusions qui, comme les enthousiasmes du début, furent parfois exagérées.

L’art du gouvernement ne s’improvise pas. Rien ne préparait la plupart des Jeunes-Turcs à assumer les charges du pouvoir dans un moment aussi difficile. La révolution a été faite par l’audace d’une élite à laquelle le succès a attiré des recrues, mais, au début, les Jeunes-Turcs étaient peu nombreux et, même aujourd’hui, ils ne forment dans le pays qu’une minorité. Le gouvernement tombait donc aux mains de quelques hommes, civils et militaires, qui n’avaient ni l’expérience des affaires, ni l’art de manier les hommes. Les uns, les civils, avaient pour la plupart vécu en France ou en Suisse dans l’admiration de l’Occident libéral ; ils y avaient absorbé, un peu pêle-mêle, les élémens d’une culture avancée que leurs cerveaux avaient incomplètement assimilés ; quelques-uns étaient devenus des hommes