Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’administration publique sur la formation des tableaux et les conditions de cette existence nouvelle. Et il s’écoule six ans jusqu’au décret du 14 décembre 1810.

La cause de ce retard est bien connue : l’Empereur se défiait des avocats et par suite hésitait à leur conférer, par le rétablissement de l’Ordre et de ses franchises, une puissance, une liberté qui pourraient le gêner. La note qu’il écrivit en marge d’un décret préparé par Cambacérès exprime sans détour son sentiment : « Ce décret est absurde et ne laisse aucune prise, aucune action contre eux (les avocats) ; ce sont des artisans de crimes et de trahisons. Tant que j’aurai l’épée au côté, jamais je ne signerai un pareil décret. Je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en sert contre le gouvernement. » On voit ainsi clairement pourquoi Napoléon Ier n’aimait pas les avocats ; on a tenté parfois d’opposer sous son nom l’esprit militaire, tout de discipline et de décision, à l’esprit juridique de discussion et de subtilité, représenté par les avocats ; rien n’est plus faux. En s’entourant des juristes éminens de son Conseil d’État, en présidant aux travaux du Code civil. Napoléon Ier témoigna au contraire combien il jugeait utile à la confection des lois, à la conduite du gouvernement les hommes habitués à l’étude du droit ; et lui-même, Premier Consul, dans les fameuses séances du Conseil d’État, montra cette vigueur, cette rectitude, cette agilité du raisonnement où se reconnaît l’excellent jurisconsulte. Ce qu’il ne pouvait souffrir chez les avocats, c’était leur indépendance, plus grande depuis la Révolution. La publicité de la procédure criminelle portait déjà ses fruits. Le procès de Moreau et de Pichegru avait été public. Non seulement les accusés avaient pu s’expliquer publiquement sur l’accusation, mais ils avaient eu des défenseurs qui à leur tour avaient parlé librement. Certes, ces plaidoyers sont d’une modération qui nous paraît aujourd’hui sans reproche. Au jugement de Napoléon, ils furent d’une audace et d’une insolence intolérables ; car ils se permettaient de rappeler que ces accusés avaient été de vaillans soldats, de grands chefs d’armées.

Toutefois, l’instinct et le sens pénétrant du fondateur d’empire l’emportèrent sur ses ressentimens. Le Barreau avait aidé jadis à la grandeur d’une magistrature par bien des côtés imparfaite. Il devait contribuer mieux encore, dans une organisation judiciaire meilleure, à installer en France cette force essentielle