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l’Ordre, c’est-à-dire cette association particulière qui fait leur force. L’Ordre était anéanti. La Constituante avait été emportée contre lui par cette fureur individualiste qui pourchassait la corporation, sous quelque forme qu’elle se présentât. Ce fut une erreur, une faute lourde. Mais, tandis que la corporation restait brisée, même après que le vent révolutionnaire eut cessé de souffler, même après le renouveau du Consulat, il arriva pour l’Ordre des avocats un événement plus surprenant que sa disparition : Napoléon Ier le fit revivre. Il faut dire exactement qu’il lui permit de revivre. La permission était stricte. Tout autre corps, sans doute, n’y aurait trouvé que le moyen de végéter faiblement. Le Barreau s’en servit pour reprendre aussitôt une santé meilleure, une vigueur rajeunie ; puis, robuste et sûr de lui, plus encore que dans le passé, il n’eut pas à se débattre longtemps contre les liens du décret de 1810 qui l’auraient serré trop étroitement : ils tombèrent comme d’eux-mêmes, en 1822, et en 1830. Désormais il allait poursuivre une carrière continuellement élargie. Ses destinées, telles qu’elles sont accomplies en l’an 1910, sont au-dessus des vœux les plus hardis que pouvaient former les avocats d’il y a cent ans. À Paris, ils n’auraient pas imaginé, ces avocats de 1810, que leur « tableau » qui comptait trois cents membres, en comprendrai !, après un siècle, plus de treize cents, outre un millier de stagiaires. Ils n’apercevaient pas que le Barreau se ferait, dans la société moderne, une place si grande, ni qu’il deviendrait comme une pépinière d’hommes d’État. En ce sens, le côté le moins curieux de la solennité du 11 décembre n’était pas de voir, à la magistrature suprême de notre pays, à la tête du gouvernement, aux principaux ministères, des membres de ce Barreau qui dut à Napoléon Ier sa résurrection. L’Empereur, non plus, n’avait pas prévu cette fortune. En signant son décret, il y contribua sans doute. Mais il considérait seulement l’intérêt de la justice : là, sa vue fut exacte et pénétrante. Un jour où l’Ordre des avocats put se reformer, la justice reprit son cours normal. C’est bien ce qu’il voulait. Il recueillait volontiers du passé les institutions qui avaient fait leurs preuves ; dans le système judiciaire qu’il reconstruisit avec tant d’ampleur et de solidité, nulle n’avait montré, plus que le Barreau, son utilité durable[1].

  1. Voyez, dans la Revue de 1er juillet 1861 et du 15 mars 1886, les études de Jules Le Berquier sur le Barreau moderne, sa constitution, ses franchises.