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Pendant qu’il jouait cette comédie, il répondait à Bismarck, qui lui télégraphiait de rompre les relations diplomatiques avec nous : « Il sera peut-être bon d’amuser encore un peu les Français, car ainsi nous gagnerions du temps pour les préparatifs et nous retarderions la marche militaire contre l’Allemagne du Sud.  » Le conseil fut goûté. « Ce fut pour nous un très grand avantage, a dit plus tard Varnbühler, de retarder de plusieurs jours le départ du ministre de France ; nous savons aujourd’hui, par le grand ouvrage de l’État-major, que, grâce à l’incertitude dans laquelle se trouvait la France au sujet des levées de troupes dans l’Allemagne du Sud, le général Douay resta à Belfort et lit défaut aux Français à Wœrth[1].  »

Notre ministre Saint-Vallier, comme s’il eût été désireux de justifier à son tour la boutade de Bismarck sur la cécité de nos agens en Allemagne, tomba dans le traquenard et, dupe des caresses et des ruses transparentes, nous entretint, sur un ton pathétique, des regrets du fourbe qui se jouait de lui. Une aussi niaise crédulité finit par impatienter Gramont. Il coupa court à l’entretien par une note sèche : « On ne peut pas laisser passer les appréciations de cette dépêche (celle qui racontait les doléances de Varnbühler). S’il suffit de quelques articles de journaux comme le Pays et la Liberté pour changer le point de vue auquel se placent les hommes d’État de Wurtemberg, et les progrès soi-disant sensibles que, depuis quatre ans, notre politique a faits dans ce pays, il faut avouer que les progrès étaient plus apparens que réels. Ils sont en vérité de peu de valeur. Rien n’est plus faux que le parallèle établi entre la presse française et la presse prussienne. Les deux presses se valent. C’est voir les choses à un point de vue fort étroit que d’attribuer à la polémique des journaux le changement des esprits. Nous n’avons jamais eu la moindre confiance dans la fixité de M.  Varnbühler, dont les impressions sont toujours changeantes, et, quelque prix que nous mettions à son adhésion, cette considération ne saurait influer sur nos appréciations quand il s’agit de l’honneur national.  » Saint-Vallier fut donc invité à poser nettement au Cabinet de Stuttgard la question de savoir : 1o s’il se plaçait avec la Prusse du côté de nos ennemis ; 2o s’il entendait garder une neutralité parfaite ; 3o s’il comptait faire cause commune avec nous.

  1. Discours à ses électeurs, 1873.