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maintien, dans une juste mesure, de la souveraineté des États du Midi de l’Allemagne, qui auraient exclusivement la garde de leurs places fortes respectives. C’était, en réalité, décliner la combinaison de M. de Bismarck, tout en m’autorisant à l’accepter en principe comme base de négociation.  »

Cette explication n’a pu être maintenue. Pendant son règne, Rouher, le Vice-Empereur, se jugeant le maître de l’État, entassait chez lui les documens diplomatiques déposés aux Affaires étrangères ou ceux, plus intimes, que l’Empereur lui confiait. Comment, en 1870, ces documens se trouvèrent-ils au château de Cerçay, près Brunoy, propriété privée du ministre d’État, je l’ignore. Ce qui est certain, c’est qu’en octobre 1870, un gros de chasseurs mecklembourgeois les découvrit dans une cachette. Ils commençaient à les brûler quand un officier, qui comprit l’importance de la trouvaille, les arrêta, emballa les papiers en de grandes caisses et les expédia à Versailles à Bismarck. On a prétendu que ces papiers ont servi à celui-ci à mater les dernières résistances qu’opposaient les ministres des États du Sud à ses projets d’Unité[1], ils ne lui furent pas moins utiles contre la dernière version de Benedetti sur le projet de conquête belge. Bismarck y trouva en effet des lettres de Rouher et de l’ambassadeur démontrant que l’Empereur, loin d’avoir refusé en principe l’offre de Bismarck, avait ordonné une négociation sur un traité envoyé de Paris tout libellé et que ce traité portait sur la Belgique et non sur le Luxembourg[2]. Seulement, Bismarck ne s’aperçut pas qu’en confondant Benedetti, il se confondait aussi lui-même. Les lettres de Benedetti et de Rouher qu’il invoquait étaient datées de juillet et d’août 1866 : donc la négociation n’avait pas eu lieu, comme il le prétendait faussement dans ses circulaires, en 1867, au lendemain de l’échec de l’affaire du Luxembourg.

Après avoir démontré ce que valaient les assertions de Bismarck et de Benedetti, je constate avec fierté que les nôtres sont restées intactes. Le défi qu’en face de l’Europe nous avons jeté à Bismarck n’a pas été relevé, il ne le sera jamais. On aura beau fouiller dans les archives et les petits papiers, on ne trouvera jamais une ligne, un mot démontrant que nous avons eu

  1. Voyez l’étude intéressante de M. Joseph Reinach, Un chantage historique.
  2. Tallichet, Bibliothèque universelle de Lausanne, juin 1871 : « La publication du traité Benedetti avait suffi pour tourner l’Europe contre la France.  »