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En voici quelques échantillons : « En 1851, un gamin littéraire de Paris reçut la mission de faire apparaître le spectre rouge dans une brochure, et cela fut très utile au prince Louis pour l’amener de la prison pour dettes au trône impérial. Maintenant, le duc de Gramont évoque le spectre espagnol pour sauver l’Empereur des cent millions qu’il a pris au Trésor pour les verser dans sa cassette. Le gamin littéraire est à la tête d’une préfecture aujourd’hui. Quelle récompense pense-t-on donner à Gramont ?  » Autre plan d’article pour caractériser les Français et leur politique : « Brutaux, bornés… Gramont, bête brute ; l’Empereur ne vaut guère mieux.  » Tous les articles haineux de nos journaux furent reproduits, tous les griefs du passé depuis Arminius, réveillés, afin de prouver que nous poursuivions l’exécution d’une trame perverse méditée depuis longtemps, et les populations furent sollicitées de se lever pour défendre leur indépendance et leur foyer que nous ne menacions pas.

Dans ces élucubrations une idée revenait sans cesse : la guerre n’a pas été imposée à l’Empereur par l’opinion d’un peuple dont la majorité était disposée à la paix ; ce sont les hommes au pouvoir qui, par une politique artificieuse, pour servir leurs calculs et leurs passions personnelles, ont surexcité l’amour-propre irritable de la nation dans le désir de terrasser la liberté à l’intérieur. Bismarck s’appliquait à ce moment à indisposer l’Europe contre l’Empereur. Quelques mois plus tard, il fallut la préparer à notre dépècement : alors il dit tout le contraire et soutint que l’opinion publique avait contraint l’Empereur à faire la guerre malgré sa volonté pacifique[1].

Il ne pouvait limiter la défense de sa cause à ces articles soudoyés par le fonds des reptiles. Tandis qu’il continuait à exciter leurs injures, il se mit à ergoter lui-même

  1. « La majorité presque unanime des représentans du peuple, du Sénat et des organes de l’opinion publique dans la presse, fait-il écrire, ont demandé la guerre de conquête contre nous si hautement que le courage nécessaire manquait aux amis isolés de la paix et que l’Empereur Napoléon n’aura pas manqué à la vérité en déclarant au Roi que l’état de l’opinion publique l’avait forcé à faire la guerre. D’ailleurs, la nation française a prouvé qu’elle est prête à suivre chaque gouvernement à la guerre contre nous, comme la série des guerres offensives que la France a faites pendant des siècles contre l’Allemagne le prouve jusqu’à l’évidence.  » Voilà ce qu’était devenu en décembre le peuple pacifique de juillet.  » Mommsen propagea cette dernière version dans une brochure aux Italiens : « C’est la France, bien plus que Napoléon III, qui ne fut ni un tyran, ni même un incapable, qui a voulu la guerre ; cette guerre était d’ailleurs à peu près fatale. Le successeur de Napoléon III l’aurait faite, si Napoléon III ne l’avait pas déclarée.  »