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que c’était la première fois depuis longtemps que l’empereur Nicolas allait voir l’empereur Guillaume cher lui : toutefois, une pareille démarche n’a pas besoin d’explication particulière, et si elle en avait besoin, on en trouverait une dans le fait que l’empereur Nicolas avait passé plusieurs semaines en Allemagne, dans la famille de l’impératrice, ce qui donnait à sa visite à Potsdam un caractère de convenance presque obligatoire. L’empereur de Russie est notre ami et notre allié, mais cela ne le dispense pas de remplir certains devoirs dont nous n’avons pas à prendre ombrage. Aussi l’opinion la plus susceptible n’en aurait rien fait chez nous, si M. Sasonoff n’avait pas suivi l’Empereur avec un empressement qui a paru d’autant plus grand qu’il n’était pas encore ministre : il était seulement désigné pour le devenir. Sa présence donnait à l’entrevue une apparence officielle très accentuée, et comme le nouvel ambassadeur de Russie à Paris n’avait pas encore rejoint son poste, on a jugé, par comparaison, que nous étions un peu négligés. Cette impression nous est revenue de l’étranger, avant même que nous l’eussions éprouvée : il semble même que la presse allemande ait désiré que nous l’éprouvions, car elle n’a rien négligé pour la provoquer : et on sait que les Allemands, quand ils veulent faire comprendre quelque chose, appuient toujours assez fort pour qu’on le comprenne en effet.

Peu de temps après, le Reichstag s’étant réuni, le chancelier de l’Empire, M. de Bethmann-Hollweg, a prononcé un discours très mesuré de ton, dont tous les termes avaient été pesés et choisis avec soin, et d’où on pouvait conclure qu’il n’était pas fâché de faire ou de laisser croire que l’entrevue de Potsdam avait eu une grande importance. « L’entrevue, a-t-il dit, a eu un cours harmonieux ; il en a été de même des entretiens entre les représentans des deux gouvernemens. » Après avoir reconnu pourtant que la situation générale n’en avait pas été ébranlée : « Je voudrais, a-t-il poursuivi, résumer ainsi le résultat de l’entrevue. On a de nouveau constaté que les deux gouvernemens n’entrent dans aucune combinaison qui pourrait avoir un point agressif contre l’autre partie. En ce sens, nous avons eu particulièrement l’occasion de constater que l’Allemagne et la Russie ont un intérêt égal au maintien du statu quo dans les Balkans et en général en Orient et, par suite, n’appuieront aucune politique qui, de quelque côté qu’elle vienne, viserait à détruire ce statu quo. Nous avons ouvertement et amicalement parlé de nos intérêts réciproques en Perse ; nous nous sommes rencontrés dans cette opinion que notre intérêt commun demande le maintien ou le rétablissement