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pratique, est-ce que le danger principal n’est pas que les cheminots, n’attendant pas la fin d’une longue procédure, ne se mettent en grève tout de suite ? Quoi qu’il en soit, révocation et remplacement immédiats sont une sanction très efficace : elle entraîne naturellement la perte de la retraite. Reste à savoir s’il sera toujours possible de l’appliquer et de la maintenir.

On sait que M. Jaurès et ses amis ont exercé, ou essayé d’exercer une pression sur le gouvernement, et par le gouvernement sur les Compagnies, pour obliger ces dernières à réintégrer dans leurs fonctions les cheminots qu’elles ont révoqués. Il était inévitable qu’une interpellation eût lieu à ce sujet et elle a eu lieu en effet, mais elle n’a pas produit tous les résultats qu’en attendaient ses auteurs. Leur thèse a été qu’il convenait de distinguer parmi les révoqués ceux qui avaient commis des actes de sabotage et ceux qui s’étaient contentés de se mettre en grève. Il a fallu faire la part du feu, et comme on désespérait de sauver les premiers, on les a abandonnés pour concentrer tous ses efforts sur les seconds et à leur profit. N’avaient-ils pas eu de bonnes raisons de croire qu’ils étaient en droit de se mettre en grève ? M. Barthou ne le leur avait-il pas dit ? M. Clemenceau n’avait-il pas confirmé le fait ? Et si M. Briand dépose aujourd’hui un projet de loi qui le leur interdit dans l’avenir, n’est-ce pas une preuve nouvelle qu’ils pouvaient le faire dans le passé ? Au point de vue de la simple casuistique, ces argumens ne sont pas sans quelque force spécieuse ; aussi, en ce qui concerne l’État considéré comme entrepreneur de transports, M. Briand n’en a-t-il pas contesté la valeur ; il a promis de réintégrer dans les chemins de fer de l’État les cheminots qui n’auraient à leur charge que le fait de grève. Mais il a reconnu avec une fermeté courageuse qu’il n’avait aucun droit d’imposer aux Compagnies l’obligation d’en faire autant. Les Compagnies sont maîtresses chez elles ; elles sont seules juges des moyens à employer pour maintenir la discipline. En parlant ainsi, M. Briand a tenu le langage d’un chef de gouvernement : ses discours sont supérieurs à ses projets de loi. Il a obtenu un ordre du jour de confiance voté à une très forte majorité. Mais comment ne pas constater ici, une fois de plus, à quel point la situation des Compagnies est supérieure à celle de l’État ? L’État réintégrera tous ses grévistes, il ne croit pas pouvoir faire autrement, il faut bien qu’il donne quelques satisfactions à M. Berteaux et même à M. Jaurès. Les Compagnies sont plus libres et gardent plus d’autorité sur leur personnel. Parmi les raisons qui nous font condamner l’exploitation directe par l’État