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au contraire c’est à gros bouillons que le sang de Duncan ruisselle et tous les parfums de l’Arabie, à grands flots également, semblent passer et repasser, en vain.

Verdi fit représenter Macbeth sur le théâtre de la Pergola de Florence au printemps de 1847, et ce printemps fut pour lui délicieux. Florence, qu’il habitait pour la première fois, charma son âme un peu farouche. Avec des amis de son choix, le poète Giusti, Dupré le sculpteur, il aimait à se promener au penchant des suaves collines. Il écoutait, ravi, le parler de Toscane, et disait en riant : « Ce n’est pas seulement le si, mais toutes les notes qui sonnent et qui chantent. Jamais je n’aurais pu m’attendre à cette merveille[1]. » Florence ne fut pas ingrate et fêta Macbeth. Mais Venise, pour des raisons de patriotisme autant que de musique, l’acclama. Un ténor, nommé Palma, d’ailleurs espagnol et chanteur médiocre, mais libéral ardent, au moins en Italie, remplissait le rôle de Macduff. Chaque soir, quand il entonnait cette strophe :

La patria tradita
Piangendo c’invita :
Fratelli, gli oppressi
Corriamo a salvar,


il jetait le public en de tels transports, que, pour les contenir, on dut avoir recours à la présence des baïonnettes autrichiennes[2].

Telle fut entre Shakspeare et Verdi la première rencontre : à peine une rapide entrevue. On sait l’éclat de celles qui suivirent, quarante-cinq ans après : Otello, Falstaff, et qui furent les dernières. Une autre, une seule, en ce long espace de temps, fut préparée, mais n’eût point lieu.

C’est après 1850 que Verdi souhaita de composer un Roi Lear. Il avait proposé le sujet à l’un de ses amis, Somma, poète et patriote vénitien, qui peu après allait être encore le librettiste, anonyme, du Ballo in maschera. Le poème du Roi Lear fut écrit et soumis à Verdi, qui le reprit, le remania selon son habitude, au point, ou peu s’en faut, de le refaire. Mais il n’en fit point la musique, soit que le dernier acte ne l’ait jamais contenté, soit qu’à la fin, il ait redouté la grandeur et la difficulté du sujet. On a de Verdi quelques lettres à Somma[3]. Il y est question du Roi Lear en particulier, plus

  1. Checchi, op. cit.
  2. Monaldi, op. cit.
  3. Re Lear e Ballo in maschera, Lettere di Giuseppe Verdi ad Antonio Somma, publicate da Alessaadro Pascolato ; Città di Castello ; S. Lapi editore.