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ni le docteur J. Charcot[1] : « Nous avons vécu au milieu d’eux, pour ainsi dire, en parfaite intelligence, ce qui nous a permis d’étudier leurs mœurs singulières, et cette étude nous a procuré la plus vive satisfaction. Ce fut notre distraction de tous les instans ; il n’est pas un de nous qui ne regrette les longues heures passées au milieu de ce que nous appelions leurs villages ; nous allions y faire provision de gaieté[2]. »

Mais passons une vingtaine d’années.

Nous sommes le 1er janvier 1893. Le gouvernement s’est enfin décidé à prendre officiellement possession de ces îles. Le commandant Lieutard, parti le 12 décembre de Diego-Suarez avec son aviso-transport l’Eure, arrive en vue de l’île Réunion[3] (cap Bligh, de Cook), relève le mont Richard, la pointe de l’Arche, que le chevalier de Kerguelen avait signalée avant tout autre, et pénètre dans la baie de l’Oiseau (Port-Christmas). À son grand étonnement, il trouve au mouillage la goélette Francis Allen de l’Américain John Fuller, hardi pêcheur qui, depuis trente ans, s’approvisionne d’huile et de peaux de phoques dans l’Océan Indien. Une rafale retarde de vingt-quatre heures la descente à terre. Le 2 janvier, au point du jour, le vent tombe. La chaloupe, bondée de monde, gagne péniblement la terre, gênée dans sa marche par les amas de goémon, qui encombrent la baie. On échoue l’embarcation sur une belle plage de sable noir, et chacun suit son penchant de chasseur, de naturaliste ou d’explorateur. Mais voici le moment décisif :

« Tandis que nous parcourions les alentours de la baie, écrit le lieutenant de vaisseau Mercié[4], les marins travaillaient à planter en terre un mât bien goudronné, solidement maintenu par des haubans de fil de fer portant sur une tringle un pavillon métallique, qui pouvait tourner ainsi au gré des vents comme une girouette. Tout à côté fut enfoncée une bille

  1. Le Pourquoi pas ? navire de la deuxième expédition antarctique française, est arrivé au Havre le 3 juin 1910. Le docteur Jean Charcot et l’équipage, heureusement au complet, ont été reçus de la façon la plus chaleureuse le 5 à Rouen et le 6 à Paris.
  2. Remarques au sujet de la faune des îles Saint-Paul et Amsterdam. Paris, C. Reinwald, 1878, p. 52.
  3. Appelée aussi Ile du Rendez-vous.
  4. Aux terres de Kerguelen, par le lieutenant de vaisseau Mercié (le Tour du Monde, 21 août 1897, p. 398 et suiv.).