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l’ambassade furent supprimés. Reichensperger n’était pas inquiet : il avait terminé son discours par une sorte d’hymne à l’immortalité de l’Eglise ; et Bismarck était mortel. Le 16 décembre même, on crut à sa mort politique… Il s’agissait encore d’un membre du Centre, prêtre par surcroît, Majunke, illégalement arrêté durant la session même du Reichstag ; une partie des nationaux-libéraux désapprouvaient Bismarck ; il fut mis en minorité et signa sa démission. Mais lorsque, le 17, Windthorst voulut faire rayer du budget les fonds secrets des Affaires étrangères, Bennigsen et toute la fraction nationale-libérale affirmèrent leur confiance dans le chancelier ; et sa lettre de démission fut retirée. La prolongation de sa vie politique réservait encore d’âpres assauts à l’immortalité de l’Eglise.

Les aspirations vers la paix religieuse avaient, au cours de 1874, trouvé certains échos, sur des lèvres peu suspectes ; Bismarck à certaines heures avait paru les partager, et même les avait presque exprimées. Mais, au mépris même de ces aspirations, volontairement, systématiquement, il élargissait le fossé entre lui et le Centre et coupait les ponts entre lui et le Pape.

Par deux actes de guerre, il annulait ses propres velléités pacifiques et défiait celles que partout il sentait s’éveiller. Il se sentait d’ailleurs le maître, plus que jamais ; il alléguait les ménagemens dont avait besoin sa santé pour obtenir les complaisances dont avait besoin son despotisme. Il se disait peut-être que plus il pousserait à fond la guerre, plus il lui serait glorieux à lui-même de conclure un jour la paix. Des millions d’hommes souffriraient encore quelques années durant, mais qu’importaient à Bismarck les souffrances humaines !


GEORGES GOYAU.