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comme on les nommait, et songeait à les châtier pu à les prohiber. Cet évêque tant aimé s’appelait Conrad Martin. Sous son front crevassé de rides, étincelaient des yeux de feu, qui tout de suite devenaient belliqueux lorsque étaient en péril les droits de l’Église ou l’exactitude de la foi. La majorité conciliaire, dont il était un des tribuns, avait, en 1870, chargé Martin d’une grande œuvre. Il avait eu mission de trouver les formules, précises et subtiles, par lesquelles le Concile définirait au monde comment l’homme connaît Dieu. On lui avait confié les droits de deux grandes clientes, la raison et la foi, dont l’une devait être défendue contre le fidéisme, et l’autre contre le rationalisme ; et plaidant pour l’une et l’autre, il avait eu la gloire d’arbitrer leurs longs débats. Il y avait loin de ces hauteurs aux bagarres du Culturkampf ; mais rapidement, dès qu’il l’avait fallu, Martin y était descendu ; et l’ardeur de sa foi, l’ardeur de son tempérament, passionnaient sa plume et sa parole. Il fut bien vite obéré d’amendes. Si quelqu’un de ses fidèles payait pour lui, Martin, tout le premier, criait au juge que ce payement était sans valeur ; il tenait à honneur de ne pas acquitter envers l’État les dettes que l’Église ne reconnaissait point, et se faisait une gloire de sa rétive insolvabilité. Solidement enraciné dans la rude et pieuse terre de Westphalie, il lui plaisait d’attendre, pour le jour marqué par Dieu, les sévices de César.


V

Les sévices de César s’exerçaient, en toute souveraineté ; mais, de temps à autre, réapparaissaient, dans les cercles d’État, d’étranges et cruelles impressions de malaise. L’allégresse dont avait témoigné la lettre de Guillaume au comte Russell s’était promptement troublée. On n’était décidément ni satisfait ni confiant ; on sentait qu’on aurait dû s’y prendre autrement ; qu’on se fourvoyait dans une impasse : c’était l’avis du prince impérial, du grand-duc de Bade, du théologien Gelzer, que Guillaume écoutait, du savant Keyserling, que Bismarck appréciait. Mais qu’il fût possible de reculer, aucun ne l’admettait : la Prusse de 1850 s’était, à Olmulz, humiliée devant l’Autriche ; se courber devant le Vatican serait courir à un second Olmulz. À vrai dire, les projets sur l’effectif de l’armée, dont Guillaume et Bismarck désiraient passionnément le vote, pourraient rallier une