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indéfini, un effectif annuel de 401 659 soldats. Ces deux préoccupations paraissaient d’ordre assez divers, mais elles s’entremêlaient dans l’esprit de Bismarck, et le double désir de séparer du Centre certains catholiques et de gagner aux aspirations du militarisme certains nationaux-libéraux l’amena, dans la semaine qui précéda les élections, à faire surgir des nuages sur la frontière de France. La France, parce que catholique, allait acculer l’Allemagne à la guerre : tel était le murmure que savamment on répandait, pour que les électeurs donnassent leur vote aux nationaux-libéraux et pour que les nationaux-libéraux, ensuite, donnassent au chancelier des soldats.

La presse allemande était maintenue dans un état de fièvre, et le 9 janvier, à la veille même du scrutin, un accès se déclara. Les « Gibelins, » qui le lendemain allaient voter et faire voter pour Bismarck, étaient mis en allégresse par une révélation soudaine. Les dépêches résumaient et la Gazette de Cologne publiait certain papier qu’avait expédié d’urgence le premier secrétaire de l’ambassade d’Allemagne auprès du Quirinal. C’était une bulle secrète : avec une correcte gravité, elle prévoyait et réglait les conditions du futur conclave ; elle était signée Pie IX. On y trouva l’indice que l’élection du prochain Pape serait une sorte de coup d’État contre l’Allemagne, machiné par le Vatican et par la France : Pie IX apparut comme l’ennemi national, qui concertait à l’avance cette intrigue d’outre-tombe, et qui ne cesserait jamais d’offenser l’Allemagne, même lorsqu’il aurait cessé de vivre. Comme on avait joué de sa lettre à Guillaume avant les élections au Landtag, ainsi joua-t-on de cette bulle pour desservir les candidatures catholiques qui frappaient à la porte du Reichstag. Il semblait que désormais ce fût une habitude électorale du gouvernement, d’exploiter contre le Centre, en vue d’une manœuvre de la dernière heure, quelque document pontifical, et de traîner le nom du Pape dans les polémiques collées sur les murailles. Mais, cette fois, le document était faux ; avec une ancienne bulle de Pie VI, un mystificateur besogneux l’avait fabriqué. Le savant canoniste Hilgenfeld, qui dans la Gazette nationale en donnait le commentaire, était si occupé d’espionner dans cette bulle les intentions malignes du Pape, qu’il n’avait pas entrevu les grossiers artifices du faussaire. Le pauvre professeur fut la plus éclatante victime de cette intrigue ; quant à la fraction du Centre, elle n’en subit aucun préjudice.