Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prétendant commençait par faire la conquête de celle qu’il aimait par des attentions de tout genre et, à s’en tenir à la lettre du Guide des usages strasbourgeois à qui nous devons ce renseignement, on dirait que cette cour précède l’agrément de la famille. Catherine Murdrac nous rapporte que son père lui demandait son sentiment sur les partis qui recherchaient sa main, qu’elle les refusait tous et plus particulièrement ceux qui plaisaient à ses parens. Celui qui obtint sa faveur et qu’elle épousa à l’insu de son père, M. de La Guelte, l’avait sollicitée directement d’elle-même. Quand l’auteur des Aventures de Polyxène, quand Camus, dans sa nouvelle La fille forte, nous parlent comme de faits habituels de mariages forcés, de contrainte exercée par les parens, ils nous donnent par l’équivoque de leur langage une fausse idée de ce qui se passait généralement, car, si les alliances matrimoniales étaient le plus souvent concertées entre les familles, si la jeune fille ratifiait habituellement le choix de la sienne, il ne s’ensuit pas que son consentement ne fût pas réfléchi et volontaire.

Ses sentimens n’étaient donc pas comptés pour rien dans la disposition de sa personne et il dépendait d’elle de les faire compter pour beaucoup. Il n’en est pas moins vrai que la préférence de ses protecteurs naturels précédait et guidait communément la sienne. Est-il possible de déterminer les considérations qui exerçaient le plus d’influence dans l’esprit des ascendans sur l’établissement de leurs filles ? S’il est vrai que des faits en apparence tout contingens et tout spontanés de la vie individuelle sont conditionnés par l’état général de la société, on ne voit pas comment nos ancêtres de la première moitié du XVIIe siècle n’auraient pas envisagé l’avenir de leurs filles d’après la façon dont ils comprenaient, sous l’empire de la situation sociale et des idées auxquelles elle conduisait, la stabilité et le bonheur domestiques. Il y a donc bien sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, aux différentes époques, une conception dominante, et cette conception peut même s’imposer avec assez de force pour donner naissance à un engouement, à une mode.

Les vingt ans de guerre intestine et d’anarchie que la France avait subis avaient rendu plus impérieux le besoin de sécurité, d’activité lucrative et de bien-être qui est commun à tous les temps. On comprend que des pères de famille éprouvés dans