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est exempte des désordres qui naissent des unions forcées, parce que la jeune fille appelée à se prononcer sur le choix d’un époux n’est pas moins libre que le jeune homme de dire oui ou non. Il est certain qu’elle avait le moyen, si elle le voulait bien, de se soustraire à la contrainte. Elle trouvait, pour s’en défendre, la protection de la justice et même, si elle appartenait à un certain milieu social, celle du Roi. En 1589, demoiselle Claude Roger de Commenge obtient contre son père, le vicomte de Bruniquel, un arrêt du Parlement de Toulouse qui l’autorise à sortir du couvent et à contracter une union avec une personne de sa qualité. En août 1641, la même Cour prend sous sa sauvegarde demoiselle Claire de Bernard que l’on veut marier contre son gré et la confie, pour lui assurer sa liberté, au juge criminel de la sénéchaussée d’Armagnac. La fille de Louis Mazot, apothicaire au Thor, notifie au capitaine de Courthezon qu’elle a quitté volontairement la maison paternelle pour s’affranchir des obstacles que sa famille pourrait mettre à l’union qu’elle a l’intention de contracter et le but de cette notification est surtout d’empêcher qu’on implique son futur dans cette évasion. Le baron, depuis marquis de La Force, voudrait épouser Jeanne de La Roche-Fatou et l’inclination de celle-ci répond à la sienne ; mais le père et la mère de Jeanne ont sur elle d’autres vues qui ne sont pas entièrement désintéressées. Or il s’agit du fils d’un compagnon d’armes, d’un ami de Henri IV. Celui-ci intervient pour favoriser les vœux du jeune homme en même temps que pour faire respecter la liberté de la jeune fille. Il confie successivement celle-ci à Saint-Georges de Vérac et à Parabère et charge un maître des requêtes de se rendre compte de ses sentimens. Grâce à l’intervention du Roi, ces sentimens triomphent des résistances de la famille et le fils aîné du duc de La Force épouse, en 1608, Jeanne de La Roche-Fatou. Citons encore le cas de Suzanne Quatremain, protestant devant l’officialité de Pontoise contre l’intimidation par laquelle sa mère lui a arraché une promesse de mariage.

Appel à la justice, retraite dans un couvent, union clandestine, les moyens ne manquaient donc pas à la jeune fille pour se dérober à la contrainte et disposer de sa personne comme elle l’entendait. Mais, pour recourir à des moyens qui répugnaient à sa réserve, il fallait chez elle des sentimens vifs, passionnés, des volontés énergiques. Ces sentimens, ces volontés