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de la province, d’engager trop tôt leurs enfans dans les liens de la vie commune, la douzième année marquait quelquefois pour la jeune fille l’époque des fiançailles, mais le mariage n’était célébré que quelques années plus tard. Dans ses Trois livres des maladies… des femmes, c’est entre dix-sept et vingt-cinq ans que Jean Liebault place l’âge le plus favorable pour avoir une postérité robuste et en majorité masculine. Vives se met aussi au point de vue de la maternité quand il conseille l’âge de dix-sept ou dix-huit ans. Pour Jean Vauquelin de la Fresnaye, la femme doit avoir dix ou douze ans de moins que son mari, c’est-à-dire dix-huit ou vingt, puisqu’il veut que celui-ci en ait trente, âge que, d’après Liebault, il ne dépassera pas. Aux yeux d’Étienne Pasquier, l’âge opportun pour la jeune fille, c’est vingt ans. Au-delà de vingt-deux, elle était, nous dit l’évêque de Belley Camus, rangée parmi les « grandes filles, » sinon les vieilles filles. C’était au moment où elles commençaient à chercher à les marier que les mères de famille faisaient quitter à leurs filles le toquet et la robe de couleur pour leur faire prendre la coiffe et la robe noire.

Les fiançailles pouvaient avoir lieu avant l’âge nubile, dès l’âge de discernement, à sept ans et, si elles étaient suivies de cohabitation, elles devenaient un mariage. C’est dire que la volonté des conjoints n’était pour rien dans ces alliances. Faut-il aller plus loin, faut-il dire qu’il n’en était pas autrement pour les filles dans les unions contractées à l’âge normal de seize à dix-huit ans ? Ici encore, comme pour la précocité, on rencontre une opinion toute faite. On n’en exagérerait pas beaucoup la portée en la formulant ainsi : les inclinations étaient comptées pour rien dans les mariages de l’ancien régime. Laissons l’ancien régime, et demandons-nous plus modestement ce qui en était dans la période où nous nous renfermons. Quand on cherche à se faire une idée sur la question, dûment limitée, on ne peut tout d’abord échapper à l’impression que nous donnent les contemporains de la liberté de la femme française par opposition à l’étroite surveillance à laquelle était soumise la femme italienne ou espagnole. Bien que leur témoignage s’applique aux femmes mariées plus encore qu’aux jeunes filles, celles-ci jouissaient elles aussi de ce que J.-P. Camus appelle « la liberté de l’air français, » et un auteur italien de la seconde moitié du XVIe siècle, Stefano Guazzo, va jusqu’à remarquer que la France