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proposés sont restés inefficaces. L’émigration lointaine à laquelle se résout naturellement, faute d’autre ressource, le montagnard de la Sabine ou des Abruzzes, répugne au paysan romagnol, qui sait le sol de sa province assez riche pour le nourrir. L’émigration temporaire, qui déverserait chaque année dans les régions voisines les paysans sans terre et sans travail d’une province fertile, mais trop peuplée, est devenue impraticable, à cause de l’extrême diversité des salaires : si les braccianti de Romagne allaient chercher du travail dans une autre région de l’Italie, ils y apporteraient nécessairement leurs exigences ordinaires, et troubleraient ainsi l’équilibre local du marché. Pour une raison analogue, les industries qu’on avait tenté d’introduire en Romagne n’ont pas pu s’y maintenir, tant les ouvriers recrutés sur place se montraient exigeans pour les salaires, et tant ils étaient prompts à soutenir leurs prétentions par la grève.

Deux systèmes restent en présence, l’un révolutionnaire, l’autre traditionnel. Les socialistes assurent que la question agraire ne peut être résolue que par l’expropriation, et, en attendant, les plus modérés demandent qu’une loi « permette et règle la concession des domaines publics aux coopératives de travail,  » afin d’imposer ensuite aux détenteurs de domaines privés le contrat de location collective. Les partisans de la tradition soutiennent au contraire que le métayage, dûment transformé, continue d’associer le capital et le travail selon la formule la plus équitable. Non seulement ils estiment que la mezzadria peut encore aujourd’hui contribuer grandement au progrès agricole et économique de l’Italie ; mais ils voient dans le développement de ce mode d’exploitation le meilleur moyen de prévenir les conflits agraires et d’assurer des rapports pacifiques entre ceux qui possèdent la terre et ceux qui la cultivent. Un économiste italien très libéral, M. Gennari, concluait récemment en ces termes une étude consacrée à l’organisation des classes agricoles dans la région de Ferrare : « À mon avis, la solution de la crise qui trouble notre pays est tout entière dans cette formule : préparer les conditions les plus favorables au développement du métayage. »


MAURICE PERNOT.