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avait créé dans son propre domaine et autour d’elle une énorme quantité de travail. La classe des mezzadri ne devait, ni ne pouvait l’accaparer tout entier à elle seule. L’exploitation, par l’effet des nouvelles méthodes, réclamait une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse ; l’usage fréquent des machines devait introduire sur le fonds des ouvriers spécialisés ; le transport des produits destinés à la vente appelait encore le concours de travailleurs étrangers au domaine. L’agriculture avait pris le caractère et les allures d’une industrie : les opérations s’y succédaient désormais régulières, précises et rapides ; une division du travail s’imposait. L’activité du métayer-cultivateur devait s’arrêter où s’arrêtait la culture proprement dite et où commençait l’industrie ; tous les travaux d’ordre industriel revenaient de droit à la classe des braccianti.

On essaya d’abord de gagner les métayers à ces vues, en les amenant à faire cause commune avec les braccianti contre les propriétaires. Les artisans de la propagande syndicaliste firent entendre au mezzadro qu’il n’était, en somme, qu’un ouvrier comme un autre ; la transformation de l’agriculture avait augmenté son labeur, plus encore que ses bénéfices ; il était exploité par le propriétaire, et son isolement lui rendait toute résistance impossible. Les métayers n’avaient qu’un moyen de faire valoir leurs droits et d’améliorer leur condition : c’était de se mêler aux ouvriers journaliers, d’entrer dans les ligues, de se faire inscrire aux Chambres du Travail. Le mezzadro montra quelque répugnance à suivre ces conseils : vivant isolé avec sa famille dans, sa maison de ferme, habitué à considérer un peu comme lui appartenant le morceau de terre qu’il cultivait, il voulait avant tout rester maître chez lui. L’organisation, la coopération, la solidarité ne lui disaient rien qui vaille. Le jour où les travaux de l’exploitation avaient dépassé ses forces et celles de sa famille, plutôt que de recourir aux braccianti syndiqués, il avait pris à son service quelque valet, qui restait attaché à la métairie et recevait un salaire en nature (garzone, obbligato) ; ou bien, au moment des gros ouvrages, il avait fait appel aux métayers voisins, quitte à leur rendre ensuite l’aide qu’il en avait reçue. Le mezzadro marquait ainsi très nettement le souci de ne point sortir de sa classe. Dans les régions où les braccianti étaient en petit nombre, les métayers gardèrent aisément leur indépendance ; s’ils s’organisèrent, ce fut, comme à