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compte la plus grande partie des travaux publics et privés confiés présentement à la spéculation.  » La Société devait attendre, pour entrer en activité, d’avoir réuni un capital de 20 000 lire., Elle ne disposait encore que de 6 000 francs, lorsque, au début de 1884, la commune de Ravenne lui confia une première entreprise. Bientôt après (1888), la coopérative des braccianti put prendre en location un terrain communal d’une superficie de 260 hectares, qu’elle réussit à dessécher et à transformer en prairie artificielle. À la fin de 1889, les sociétaires étaient plus de 2 000 ; le capital souscrit était de 50 000 francs ; le capital versé dépassait 46 000, sans compter un fonds de réserve et une caisse de retraites. Tout sociétaire employé dans les entreprises recevait un salaire journalier variant, suivant la qualité du travail, de 1 l. 50 à 3 l. 50 ; de plus, la coopérative divisait entre les travailleurs 40 pour 100 des bénéfices réalisés sur l’entreprise ; le reste allait grossir le fonds social de réserve et de retraites. Les premiers succès de la coopérative de Ravenne furent gros de conséquences ; dans la province, d’autres sociétés se formèrent sur son modèle ; les offres d’entreprise affluèrent ; les banques et les caisses d’épargne ouvrirent un large crédit aux nouvelles organisations. Les particuliers furent contraints de relever les salaires au taux de ceux que distribuaient les coopératives. Peu à peu, celles-ci devinrent maîtresses absolues des tarifs, et se mirent en état d’imposer aux propriétaires fonciers leurs ouvriers, leurs horaires et leurs conditions.

On voit cependant que, durant la première période de leur existence, les organisations de braccianti ne menacèrent directement que les propriétaires ; elles n’étaient point hostiles aux métayers. Bien qu’elles fussent animées du plus ardent esprit collectiviste, elles accueillaient dans leurs rangs des travailleurs d’opinions diverses : les socialistes y coudoyaient les républicains (on sait que dans les populations ouvrières de Romagne, les idées avancées sont les plus répandues, et que les principes cléricaux et monarchistes y comptent peu de partisans). Il y avait bien entre les deux classes des braccianti et des contadini une rivalité latente, résultant de la différence des conditions. Mais les organisateurs syndicalistes, qui devaient plus tard entretenir et développer avec soin ce germe de division, semblent avoir cherché d’abord à l’étouffer, dans l’espoir de gagner plus