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des paysans des provinces voisines vinrent bientôt faire concurrence aux paysans indigènes. La construction des chemins de fer et les travaux d’endiguement entrepris par le gouvernement italien contribuèrent encore à les attirer. Dès 1880, les braccianti romagnols formaient une classe nombreuse, compacte et déjà remuante.

L’année 1882 marqua un temps d’arrêt dans le progrès de l’industrie agricole en Romagne. Une baisse considérable s’étant produite sur les grains et sur le riz, beaucoup de propriétaires réduisirent sur leurs domaines la culture intensive et se remirent à faire des fourrages dans des terrains où ils avaient introduit naguère la mezzadria : de nouveaux braccianti accoururent. Cette crise passa ; la construction des lignes ferrées fut achevée ; mais les ouvriers demeurèrent. Ils étaient trop nombreux pour que l’agriculture put les faire vivre tous : les mécontens s’agitèrent. Le gouvernement s’efforça de remédier aux inconvéniens du chômage en entreprenant dans la province de nouveaux travaux, dont la nécessité immédiate ne se faisait pas toujours sentir. Ce dérivatif fut insuffisant. L’agitation persista et s’accrut, entretenue et bientôt organisée par les émissaires du parti syndicaliste. Ceux-ci avaient trouvé de bonne heure en Romagne un terrain propice. Terre classique des insurrections, des complots et des sectes, cette province a vu dans le passé trop de luttes politiques pour ne point favoriser encore la naissance et le développement des luttes sociales d’aujourd’hui. Ses habitans sont restés ce qu’ils étaient au temps où ils supportaient si impatiemment la domination pontificale : énergiques, passionnés, sectaires, toujours prêts à former des ligues et à fomenter des révoltes. Nulle part, en Italie, la propagande collectiviste ne reçut un accueil aussi enthousiaste, nulle part elle ne fit d’adeptes aussi convaincus qu’en Romagne et dans les régions voisines de l’Emilie et du Mantouan. Lorsqu’on vint prêcher, à ces paysans sans terre et souvent sans travail, la socialisation du sol, l’expropriation et l’exploitation collective des grands domaines, ils ne conçurent point une espérance lointaine et confuse, mais une absolue confiance et le désir ardent d’une réalisation immédiate.

La première coopérative qui fut fondée à Ravenne par les braccianti en 1883, et qui devait être légalement reconnue cinq ans plus tard, se proposait pour but « d’assumer à son propre