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riches, actifs et entreprenans, n’hésitèrent point à confier à la terre des capitaux considérables. En moins de trente ans, le pays changea complètement d’aspect. Les marais, comblés, furent convertis en rizières, puis en prairies ; le sol fut renouvelé, amélioré par les désinfectans et les engrais chimiques ; les métairies furent réparées ou reconstruites. On introduisit des cultures nouvelles : au maïs, on substitua la betterave ; on développa, en vue de l’élevage, l’étendue des prés artificiels ; les domaines furent abondamment pourvus de charrues modernes, de semeuses, de faucheuses et de batteuses perfectionnées. Les propriétaires avaient opéré tous ces changemens à leurs frais et à leurs risques exclusifs : restait à voir dans quelle mesure et sous quelle forme les populations agricoles seraient admises à en profiter. À tout prix, on voulait conserver le métayage ; mais il devenait indispensable de le transformer. L’exploitation exigeait désormais, non seulement un capital plus important qu’autrefois, mais aussi plus de travail, et une main-d’œuvre plus nombreuse ; la spécialisation des cultures allait faire du colon de jadis, qui vivait sur le fonds, consommant en nature les produits du fonds, un agriculteur moderne qui produirait pour vendre, passerait des marchés, subirait le contre-coup des variations de prix. On eut confiance dans la mezzadria : les avantages d’ordre social qu’elle assurait semblaient plus que jamais précieux à conserver ; il n’était que de l’accommoder aux nouvelles conditions économiques, et la loi, comme on l’a vu, laissait à ce sujet toute facilité. C’est ainsi que l’on garda la forme traditionnelle, en la dépouillant des derniers vestiges de féodalité qu’elle avait jusqu’alors retenus, et en y introduisant tous les caractères d’une institution économique moderne. Le mezzadro devenait proprement l’associé du propriétaire tout en demeurant soumis à son autorité, en ce qui concerne la direction technique de l’exploitation ; les produits une fois divisés, il disposait de sa part comme il l’entendait, traitant ses affaires lui-même. Un système ingénieux permettait au métayer économe de se rendre en peu de temps co-propriétaire du bétail de la ferme, et d’augmenter ainsi ses bénéfices.

L’initiative des propriétaires romagnols eut un plein succès. Le paysan de Romagne est naturellement intelligent, laborieux, opiniâtre dans son effort. Les mezzadri comprirent tout l’avantage qu’ils pouvaient retirer du nouveau mode d’exploitation et