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Il élève bien ses enfans et la correspondance de Racine avec Boileau prouve surtout que Boileau aimait les enfans de Racine, mais un peu cependant, et ceci est confirmé du reste par les lettres de Racine à ses enfans extrêmement que Racine ne laissait pas de les aimer lui-même très tendrement.

Il vieillit. Il intercède d’une façon qu’on ne connaîtra jamais précisément, mais enfin il est certain qu’il intercède auprès du Roi en faveur des misères du peuple et il y a, je crois, plus d’effroi de la colère royale chez Mme de Maintenon que véritable colère royale ; mais encore il y a que cette colère Racine l’a au moins encourue.

Il meurt, comme tous les hommes du XVIIe siècle, dans des sentimens de pitié profonde et, les souvenirs de l’adolescence lui revenant à sa dernière heure, comme à tous les mourans, en ordonnant qu’il soit enterré à Port-Royal. « Il n’aurait pas fait cela pendant sa vie, » dit un courtisan bien spirituel et aussi épigrammatique que lui et digne de lui. Sans doute et vous êtes, monsieur, un homme d’esprit ; remarquez cependant qu’un père de famille n’est jamais mort et que, de la part d’un père si tendre, l’acte par lequel ses enfans sont un peu compromis a quelque mérite. Il y a des courages posthumes, très inférieurs, évidemment, aux courages vivans, mais qui doivent être comptés encore comme bonnes actions des âmes moyennes.

Tel est pour moi le caractère de Racine, nullement héroïque, nullement plat, nullement d’un surhomme à la Nietzsche, nullement d’une espèce, tout à fait moyen et qui n’est digne ni d’admiration ni de mépris, et qui par conséquent est le contraire des deux caractères de Racine que nous a tracés M. Masson-Forestier. Comme la plupart des grands artistes, Racine avait l’âme du premier venu. — C’est un des quatre ou cinq plus grands poètes qu’ait connus l’humanité.


EMILE FAGUET.