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sortie. Quand elle se produit, fréquemment l’halicte et le diptère sont face à face, mais ni l’un ni l’autre ne s’émeut. Rien ne dénote chez l’halicte la connaissance du danger couru par sa famille ; rien ne trahit la crainte chez le diptère. Si celui-ci est surpris par l’abeille au moment de sa besogne, il n’en résulte rien de fâcheux pour lui. Le diptère descend chez l’halicte, même quand celle-ci est présente. Par couardise ou imbécile tolérance, l’expropriée laisse faire.

Comment s’expliquer ces phénomènes, tout à fait généraux dans le monde de l’insecte ? Peut-être est-il permis de les interpréter par un effet de terreur chez la victime. À la vue d’un gros gibier, la mante se met soudain en terrifiante posture. La mimique est menaçante ; elle veut terroriser, paralyser d’effroi. Le gibier reste en place, fasciné par l’attitude spectrale. À l’approche du pompile, l’épeire, saisie de panique, se laisse choir à terre et c’est sans doute par terreur ; car le plus souvent elle est alors opérée. Cette sensibilité à la peur, la torpeur, l’hypnose qui en résultent sont affirmées par de nombreux exemples. Le scorpion, mis dans un cercle de feu, ne se donne pas du tout la mort comme on l’a dit. Il est hypnotisé par la frayeur, il entre en torpeur. Que cette vue soit exacte, cela résulte de ce que le retour à la vie, dans tous les cas d’hypnose, s’effectue exactement comme après une hypnose expérimentale produite sous l’influence de l’éther. Ce n’est pas une mort simulée par conséquent, comme on l’a pensé quelquefois.

VII

Avec les sens de l’insecte, c’est-à-dire avec ses moyens d’information, l’abîme ouvert entre l’esprit de la bête et celui de l’homme va se creuser davantage. Les sens analogues aux nôtres donnent d’abord lieu à une remarque. Leur acuité est très différente de celle qui leur correspond chez nous. La cigale, qui n’est aucunement troublée, quand elle chante, par de fortes détonations, pourrait bien être tout à fait sourde. L’odorat au contraire est souvent d’une finesse étonnante. Le scarabée endormi sent, à travers la terre, son mets favori. Le bolbocère est averti par l’olfaction de la présence du champignon hypogée qui constitue sa nourriture. Les exploiteurs de cadavres sont attirés de très loin par l’odeur.