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existent entre la conscience de l’insecte et celle de l’homme, il faut donc étudier ce monde sentimental et sensitif. Nous arriverons là, foncièrement, à la conclusion qui se dégage de ce qui précède. Entre l’intellect humain et celui de l’insecte il y a antithèse essentielle atténuée par un léger rapprochement possible. De même entre les sentimens et les sensations de la bête et ceux de l’homme il y a des ressemblances et des identités ; mais il y a aussi des élémens irréductibles, qui nous sont impénétrables.

« Le sentiment intime de la bête est pour nous mystère insondable, » dit M. Fabre. Quand nous parlons d’émotions chez elle, cela veut dire seulement qu’elle nous montre les signes extérieurs d’une vie sentimentale intérieure, des expressions qu’il est légitime de rapporter à des mouvemens de l’âme ; mais bien entendu, sur l’existence même de ces émotions, nous ne pouvons rien savoir, car nous ne voyons pas l’âme, mais le corps seulement.

Nous nous contenterons d’énumérer, sans y insister, les sentimens analogues aux nôtres. L’animal éprouve du plaisir et de la douleur ; il manifeste, par son chant, par exemple, sa joie de vivre ; on note chez lui le plaisir de l’activité et de la réussite. Nous en avons eu un exemple chez l’ammophile. Les forts excitans que sont la lumière, la chaleur, l’insolation, lui plaisent et lui sont même nécessaires : le scarabée sacré est un passionné de soleil. La joie de manger est si intense qu’elle l’emporte sur les plus grandes douleurs. M. Fabre a vu une mante qui mâchonnait le ventre d’un philanthe pendant que celui-ci continuait à lécher le miel de son abeille agonisante. Tout prouve que la maternité est la souveraine impératrice de l’instinct ; et le sentiment maternel va jusqu’au don complet de la mère. Une araignée, le Thomisus onustus, de son pauvre corps, fait bouclier sur le trésor des œufs ; le manger est oublié, et la famille une fois née, tout doucement la mère meurt. La lycose, la demi-journée, pendant trois ou quatre semaines, soutient devant le soleil le sac aux œufs ; pendant sept mois, elle porte sa famille sur son dos. Le copris, des mois et des mois, veille sur ses pilules à œufs sans prendre de nourriture. Chez quelques insectes existe aussi le sentiment de la paternité. L’esprit de conquête et le sentiment de la propriété sont manifestes chez le chalicodome. L’halicte a l’amour du village natal.