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M. Fabre distingue chez la bête raison et intelligence. Il nie la première, tandis qu’il affirme l’existence de la seconde dans de modestes limites ; et il faut expliquer le sens qu’il donne à ces mots : « Avec sa rigide science qui s’ignore, l’instinct pur, dit-il, étant seul, laisserait l’insecte désarmé dans le perpétuel conflit des circonstances. L’imprévu surgit de partout ; un guide est donc nécessaire pour choisir, accepter, refuser. » Ce guide très évident chez l’insecte, il le nomme discernement ; et pour marquer tout de suite le peu d’étendue de son action, il ajoute que l’insecte ne discerne que dans le cycle de son art. Ce discernement est d’ailleurs accompagné de conscience. En voici maintenant des exemples.

Le pélopée s’approvisionne d’araignées ; voilà l’instinct immuable ; mais, si l’épeire manque, la proie favorite, il garnit ses magasins de toute aranéide ; voilà le discernement. Les mégachiles construisent avec des feuilles, les anthidies avec du coton : instinct ; ils n’ont jamais fait l’un ce que fait l’autre. Il n’y aura jamais permutation ; mais la plante qui donne la feuille ou le coton peut changer ; et avec elle la matière première : discernement. Il est inutile de multiplier ces exemples. Ainsi les principes essentiels sont seuls invariables. Donc si, dans l’analyse de l’essence de l’instinct, M. Fabre creuse entre la bête et l’esprit humain un abîme infranchissable, le discernement peut être considéré comme un pont léger sur cet abîme ; il permet un faible rapprochement. M. Fabre ne consentira jamais cependant à interpréter la bête par l’homme. C’est ainsi qu’il reproche à Érasme Darwin d’avoir pensé qu’une guêpe avait eu l’idée de dépecer un cadavre de mouche afin d’alléger son fardeau et de mieux lutter contre un vent violent. Il montre qu’il n’y a là que le fait brutal d’une guêpe qui ne garde que le tronçon jugé digne de ses larves.

À la variété des victimes et des matériaux, citée plus haut, s’en ajoutent d’autres. L’osmie tricorne adopte très bien d’emblée pour son nid des tubes de verre inconnus jusqu’alors à sa race ; tout en prenant soin de les balayer comme elle le fait dans les demeures naturelles qu’elle utilise d’ordinaire. Elle est capable aussi de varier l’architecture de ses cellules. M. Fabre lui offre des roseaux. Dans les plus petits, semblables aux tubes qu’elle recherche dans la nature, elle s’approvisionne d’abord, cloisonne ensuite et bâtit ainsi ses cellules de proche en