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dont il est difficile de préciser l’importance et la nature, mais qu’on peut, selon toute vraisemblance, rapporter à la fatigue, la chaleur et l’insolation, et peut-être aussi à un appoint éthylique : on sait, en effet, que Charles VI était buveur, et il est probable que, par ce jour de grande chaleur, il avait, sous l’influence de l’excitation maniaque, commis quelques excès de boisson.

La série des accès suivans présente une symptomatologie plus franche, dégagée de tout élément confusionnel, et qui justifie pleinement l’opinion de tous les aliénistes sons exception, qui ont porté sur la maladie du Roi le diagnostic d’excitation maniaque. Agitation psychique et motrice, cris, chants, gestes obscènes, tendances élastiques particulièrement développées, voilà bien le tableau de la fureur maniaque, telle que l’ont décrite les plus anciens auteurs.

Cette manie possède un autre caractère, qui avait frappé les contemporains, et dont les travaux de Baillarger et de Falret devaient rendre l’interprétation facile à des aliénistes tels que Moreau de Tours et Legrand du Saulle : ce caractère, c’est l’intermittence. La folie du Roi présente tous les traits de la manie intermittente : début et cessation brusques, répétition monotone et presque identique des mêmes accidens, intervalles de lucidité relative, pendant lesquels subsistent de l’instabilité de l’humeur, des désordres psychiques multiples et transitoires, sans affaiblissement intellectuel véritable, évolution plutôt vers la chronicité que vers la démence, et, au bout de trente années, malgré la fréquence croissante d’accès presque subintrans, conservation remarquable de la conscience, de la critique personnelle et du jugement.

Mais la maladie ne se réduit pas à de la manie intermittente. On y trouve, survenant également par accès, les élémens de la dépression psychique : abattement, tristesse, craintes, mutisme, inertie psychique et motrice, idées délirantes pénibles. Ces symptômes, d’ordre mélancolique, semblent avoir prédominé au cours de l’accès de 1405. Il est même probable que ces élémens d’excitation et de dépression se sont souvent associés dans le tableau morbide des mêmes crises, réalisant ainsi le syndrome de l’état mixte, dont il est intéressant d’entrevoir ici l’observation rétrospective. Ainsi l’interprétation du cas individuel de Charles VI bénéficie des progrès que la notion nouvelle des états mixtes, formulée par Kraepelin, et